Voilà comme elle est, fiévreuse, fantôme, figeant ses pensées et ses muscles à l’affût d’un ennemi féroce.
Non, voilà plutôt comme elle n’est pas, douce et moelleuse, malléable comme un gâteau à la mangue mal cuit mijotant dans une crème onctueuse et malodorante.
Non, voilà ce qu’elle n’est encore pas, caracolant en tête, avalant les pions avec sa Reine, riant des stratagèmes, se hissant sur la tête des autres, prenant appui jusqu’à écrabouiller.
Voilà ce qu’elle voudrait être, mère nonchalante que les imprécisions d’une journée ne feraient pas basculer du côté obscur.
Oui, voilà ce qu’elle est, sorcière adulée et vociférante, réfractaire aux flopées, pourchassée par la meute, aveuglant de sa nuit les contours inédits.
Tu la vois, elle se voit, tu ne la vois plus, elle non plus, elle ne s’est jamais vue, tout droit sortie d’un rêve visqueux, du genre qui poisse les draps durablement. En réalité, ses paupières ont toujours été fermées ou peut-être se sont-elles ouvertes – mais seulement une fois – sur une absence sidérale de pupille.
Ce qu’elle n’est pas, voilà, c’est tout ce qu’elle est en cette seconde et la suivante, tout en étant absolument l’inverse, voilà ce qui est sans doute aussi la raison de cette fatigue carabinée qui s’abat sur elle en ce lundi soir avec la précision d’une guillotine.
Voilà, concentré dans tous ces livres, ce que des générations lui ont interdit d’incarner, de mâcher, d’arracher. Ses dents ont faim, voilà, mais elle n’a plus faim, ayant dépensé dans une vie passée le dernier kilojoule de possibilité.
Voilà ce qu’il sait qu’elle est, qu’elle n’est pas, par un brouillage habile de codes, d’algorithmes et de mots clés.
Voilà, non, ne voilà-t-il pas qu’elle n’est rien sans lui, qui l’invente, l’informe, l’assoit dans une bulle réconfortante, où, validée de toute part, l’abysse en elle s’évapore en volutes ventrues.
Voilà, non, ne voilà-t-il pas qu’elle, sans lui, n’a jamais existé.
merci d’ouvrir le bal !
Merci pour l’originalité de la proposition. ça nous pousse dans des recoins où on irait pas sinon.
Très belle énumération, et cette fin…
Merci Perle, je m’en vais lire tes textes.
Ah! Merci (Ce qu’elle n’est pas, voilà, c’est tout ce qu’elle est en cette seconde et la suivante, tout en étant absolument l’inverse, voilà ce qui est sans doute aussi la raison de cette fatigue carabinée…) nous bouscule bien ce texte
Ravie de bousculer, pas trop fort j’espère. Je pars te lire à mon tour.
J’aime beaucoup: « Voilà, non, ne voilà-t-il pas qu’elle n’est rien sans lui, qui l’invente »