#histoire#12/ Point de fuite

Quels étaient les soupirs et les cris qui résonnaient par la cloison, enfin, je veux dire par le mur de la chambre d’un hôtel deux étoiles, qui portait le nom, je me souviens, «Aux deux lions d’or», je m’en souviens bien, comme ce nom, ça faisait riche, les rois de la jungle se regardaient face à face comme en duel , et on ne savait pas lequel allait gagner.

Mon père avait décidé de filer , il ne voulait pas rester là, trop sale pour moi, t’es petite près tout, il avait dit, on avait fini, face à la mer, près de Marseille, dans notre  vieille Peugeot, marron-chocolat.

Des hôtels , des parkings , des voies de garages, des lits de camp en fer, avec des matelas à ressorts qui crissent, je m ‘en souviens encore, avec nos valises jetées, une pour le linge sale, l’autre pour le linge propre, mon sac à dos plein de rien que je mettais sous la tête en guise d’oreiller, avec des restes de paquets de chips qui craquaient dans mes oreilles, même comme ça, ça  me berçait tellement j’étais fatiguée. Des soirs j’y glissais ma main et je tombais, par hasard, à l’aveugle, sur un Créma acidulé , ceux à la framboise, c’était ceux que je préférais parce qu’ils duraient longtemps, longtemps  sous la langue.

La Peugeot nous amena à l’embarcadère des bateaux de croisière à Marseille, mon père me montra du doigt un immense navire. Il me dit , là on va être bien, tu vas voir. Un gros tas de gens qu’il me disait de suivre, et hop, on était sur le monstre, de l’autre côté de la passerelle. Il avait trouvé un job d’été, la plonge sur un bateau, ça va être marrant, il me dit.

Les touristes passaient d’un côté et nous de l’autre. On devait pas traîner, mon père m’indiqua le numéro de cabine que je devais retrouvé pendant que lui devait suivre les employés envoyés de l’autre côté du bateau. Avec mon énorme sac à dos, je courbais le dos et essayais de lire les numéros de cabines sur les portes en me hissant sur la pointe des pieds. Enfin arrivée à la 404, j’ouvrai la porte en bois ciré et il y avait deux lits superposés avec deux boudins de matelas encore ficelés, des  draps, des couvertures et deux oreillers  et une tablette fixée au mur avec un tabouret vissé au sol.  La cabine était minuscule, pour moi, c’était le grand luxe ! J’étais trop contente, il y avait une salle de bain avec une baignoire, une vraie baignoire, comme aurait dit mon père, une baignoire dans un bateau, ça va être marrant.

C‘était une sorte d’anomalie dans ma vie,  je ne cherchais pas à savoir pourquoi ce que je voyais n’étais pas un rêve, on nous avait peut-être refiler la cabine d’un chef, aller savoir …Une envie irrésistible m’envahit et j’enlevais tous mes vêtements et pris mon premier bain, comme au cinéma, un bain chaud, avec de la buée, du savon et des bulles. En fermant les yeux, je m’ imaginais flotter sur la mer dans ma coquille de noix . Mais quelle bonne idée, d’être ici, pour passer l’été. Dès le lendemain,  j’irai en exploration côté touriste . Bon , c’est vrai, cette cabine était sur le pont le plus bas du navire, on avait juste un tout petit hublot, tout en haut, du mur, mais de mon lit, je verrai peut-être l’horizon avec un peu de chance. Une fois réchauffée, je décidais de sortir du bain et d’attendre mon père avec le dîner. Je fis les lits du mieux que je pouvais car ça tanguait  pas mal même si on était encore à quai et je commençais à avoir le mal de mer. Je  m’endormais tout de suite bercer par les vaguelettes du port. Les crissements des machines et de bruits de turbines accompagnèrent soudain la sirène du navire qui annonçait son départ du port. L’aventure pouvait commencer.     

A propos de Carole Temstet

Née , à Paris en 1966 , animatrice d' atelier d 'écriture depuis 17 ans , dans les milieux scolaires et associatifs, j 'aide adultes et enfants à développer leur créativité et à y prendre goût au sein de l ' association Mots et Pinceaux à Nogent sur Marne. J'ai publié , un premier roman intitulé "Hors sujet" et un roman pour la jeunesse à partir de 9 ans " Violon d'étoiles" illustré par mes aquarelles, dit par P. Calmon (acteur) et joué au violon par I. Scialom (violoniste). (lien à trouver sur Publibook.fr) site FB : Carole Temstet

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