J’ai marché vite, hésité à courir même, enfin je n’aime pas le dévers et le sol glissant de la place Louis Pradel, j’en ai vu de belles chutes, là, alors j’ai juste marché d’un pas pressé, enfin heureusement me voilà à l’arrêt, un peu sur le côté de l’abribus. Je suis arrivée à temps, je suis anxieuse, partie trop vite pour un rendez-vous important, je cherche quand même mes clés, je deviens un peu obsessionnelle parfois. Elles sont bien là. La clé de l’appartement, avec cette porte qui se ferme toute seule une fois claquée, si elles sont toutes comme ça dans l’immeuble elles doivent faire la fortune du serrurier de la rue parallèle, avec son maudit forfait déplacement. La clé de la cave, drôle de cave qui n’a pas été vidée à mon arrivée, caisses de tissus et de papiers administratifs mangés par les souris, mannequins de couturière. Un jour j’irai lire tout ça, j’en ferai peut-être des collages. Une ancienne entreprise qui a fait faillite sûrement. La clé du bureau, qui m’oblige à faire les fermetures, qui rallonge mes horaires un quart d’heure par-ci une dizaine de minutes par-là, qui m’a énervée encore ce soir, me rendant désagréable pour mettre fin aux discussions avec les collègues. La clé de voiture, garée au loin, je la bougerai un de ces quatre. Il me manque la clé des rêves, ça, c’est sûr. Mon bus arrive, je crois, oui, le C14, des gens se lèvent, se placent ni trop loin ni trop près. En général, j’ai tendance à laisser passer la cohue. Il est bien lent aujourd’hui, un cycliste le ralentit juste devant, heureusement il dégage vite. Allez, enfin, la chauffeuse s’arrête, chance, la porte s’ouvre à mon niveau, je sors un ticket de ma poche, j’y abandonne cette fois mes clés, rassurée.