Nous marchions derrière la glissière de sécurité, parfois devant sur la BADU quand il y avait trop de ronces derrière. Il faisait noir, une nuit sans lune. Il était déjà tard, 2 ou 3 heures du matin, mais la circulation était encore importante et terriblement rapide. Des phares nous frôlaient pour disparaître et ne laisser que des points rouges. Nous répétions comme une comptine « ta robe elle est rouge que la mienne est à pois ». La dernière phrase entendue avant l’accident. Papa lisait à maman qui conduisait le billet de Robert Escarpit dans le Monde. Il y avait eu un grand bruit et puis plus rien. Nous avions une mission, nous cherchions une borne pour appeler les secours. Nous avancions dans le bruit des criquets ou des cigales et dans l’odeur du goudron encore chaud de la journée. Nous sentions des frôlements d’aile et entendions des bêtes qui détalaient. Alors nous répétions la comptine « ta robe elle est rouge que la mienne est à pois » avec parfois des variantes « ta robe elle est à pois que la mienne elle est rouge » ou « ta robe elle est verte que la mienne est à rayures ». Nous pensions à la mer, au sable et à la grenadine ou à la menthe que nous boirions avec une paille. Nous imaginions le goût de la glace du soir et le parfum que nous choisirions. « Ta glace elle est à la pistache que la mienne est au chocolat ». Nous ne disions rien d’autre et nous nous sentions capables de marcher jusqu’à la plage, jusqu’au moment où nous verrions pointer le clocher qui domine la baie et nous dirions tous ensemble comme à chaque fois « la mer, la mer ! »
Nous marchions consciencieusement, presque gaiement dans la nuit noire zébrée de l’éclat de la lumière des phares. Nous n’avions pas encore peur et nous n’étions pas tristes.