Bien sûr il est rentré tard très tard et maintenant immobile devant la fenêtre. On l’a raccompagné complètement ivre. Tenait à peine debout à travers les rues goudronnées et ensablées sous le sirocco. Quelques forces puis reste devant la fenêtre .On lui a mis sa chaise toujours à la même place. Trois pas sur la gauche à partir de la table. Il aime bien être là devant la fenêtre. Il est dans le noir immuablement, indéfiniment. Aube ou crépuscule, pour lui il n’y a que l’odeur du vent qui compte. Son coeur bat et résonne encore dans tout son corps où frappe sa darbouka intérieure percussion de colère et d’impuissance. Vapeur d’alcool transpire par la peau. Debout sur ses jambes flageolantes et deux pas au quart sud-‘est , sans se retourner vraiment pour trouver le fauteuil toujours à la même place. Larmes du corps le font tomber en arrière, chute sur fauteuil immobile exprès là pour lui. Ferme ces beaux gros yeux derrière ses lunettes noires on dirait qu’il dort. Mais non, ferme les yeux pour reposer ses paupières humides. L’alcool le fait toujours pleurer après. Essuie ses larmes du revers de sa chemise. Il aime quand elle est bien blanche. Il se doute que c’est beau quand c’est blanc. Ça ressemble au bruit des vagues douces sur la mer. Le blanc. Lui reste-t-il des forces pour se lever et rejoindre son lit à trois pas sur la droite à partir du bahut en bois noueux qui rape sous la paume ? Il tente. Retombe. Il cherche sa canne et en saisit l’anse bien blanche. Son bras quitte l’accoudoir du fauteuil lourd et immobile. Son muscle se gonfle et toute son corps compte sur son biceps droit. Son épaule, son dos bascule et enfin ses fesses se soulèvent. D’un seul coup, jambe droite et canne prennent le relai puis dos cou tête. Le grand homme a réussi. Il laisse derrière lui le fauteuil immobile sa darbouka son cœur même. Il marche à tâtons et tout le monde dort encore. La porte de la chambre et il bute, et va , va ,va s’allonger sur le lit blanc comme les vagues de la mer. Peut enfin relâcher tout le corps et rester immobile dans le lit à côté d’elle, il sent l’autre corps chaud dans l’aube ou le crépuscule, et part s’enfuir on ne sait où.
Codicille: Poursuite de mon texte entrepris l ‘été dernier « le dernier enregistrement » raconte , romance et reconstruit l’histoire de mon grand père aveugle de naissance à partir de bribe d ‘informations recueillies et parcellaires .