#Boost14#Éc(r)oulement

Peut-être faudrait-il mimer le temps qui passe, retrouver sa continuité dans la discontinuité du langage
Résister à la tentation du mimétisme formel (absence de ponctuation, tout ça)
Inventer un langage qui glisse comme le temps passe.
Un langage qui dirait l’imperceptible mobilité dans l’apparent immobile ( un ami me racontait hier comment sa vie avait changé le jour où il avait compris qu’il y avait autant de chiffres entre le zéro et le un qu’entre le un et l’infini)
Il est dix heures vingt-six du matin, dans trois heures trente-six la nuit commencera à tomber, incognito…
À quel instant précis commencera t-elle à tomber ? Cet instant existe t-il ? Newton et Einstein ne l’ont pas trouvé, certains disciples de Planck croient l’avoir trouvé dans la granularité du temps (un grain étant un instant de temps indivisible).
Temps granuleux ou temps continu, à mon échelle, pareil au même. Suis dans la mouise.
Dans la mouise comme l’homme dans son fauteuil, immobile et pas immobile face à la fenêtre, dans la terreur et dans la négation du temps qui passe
Du temps qui s’écoule ou bien de l’homme qui s’écoule et s’écroule, fixant « le hêtre à l’ombre duquel jadis ».
Suis dans la mouise et le temps passe sans être décrit, l’écran noircit ( mille-huit-cent caractères déjà, ou à peine ; et d’ailleurs le temps de l’écrire ce n’est déjà plus vrai – vertige – il en faudrait quatre mille neuf cent, de caractères, a dit François, pour que quelque chose émerge) l’écran noircit, disais-je, sans que ne soit décrit le noircissement : à mon insu, toujours à mon insu.
Le sage en méditation a t-il vu s’écouler le temps ? A t-il vu sous la continuité l’instant infinitésimal où le jour fait place à la nuit ? Mais alors cet instant serait-il du jour ou de la nuit ?
Le temps ne peut passer qu’en dehors de la raison humaine.
Décrire le temps serait entrer dans la folie, alors, ou bien l’ Éveil, mais peut-être l’ Éveil est-il une folie ordonnée.
Le vieux immobile ( pas si immobile), le poing lâchement serré : refus de la mort qui grignote.
En même temps que : fascination pour la mort qui grignote, enfin, il me semble. De tout cela parle Beckett, je crois, et Proust, peut-être aussi.
Parfois, dans la terreur, il ferme les yeux, l’homme. Parfois il fait face, obsessionnellement.
Fuite ou confrontation, deux remèdes jamais à la hauteur.
Il est cyclique, le temps de l’homme au fauteuil, le temps des vivants, et pourtant il tend vers le pourrissement de tout. Cyclique et irréversible.
Infini, le passage du zéro au un, du jour à la nuit, et pourtant je vais mourir.
Il est dix-huit heures trois, combien d’instants jusqu’à la nuit noire ? Une infinité qui va prendre fin, bientôt. Tout cela n’a aucun sens.
Dix-huit heures douze : le jour semble coincé à son zénith, tandis que fourbement le temps grignote, irréversible.
Seule échappatoire : la dissolution totale de l’homme au fauteuil dans le grignotement du temps.
Mais le poing, lâchement serré, bêtement serré, empêche le soulagement, et le condamne.

3 commentaires à propos de “#Boost14#Éc(r)oulement”

  1. (Mais alors cet instant serait-il du jour ou de la nuit ?) les questions me foncent dessus et me chahutent. Langage. temps. Zero. Un. fauteuil. Mouise. Homme. Mort. Merci Natacha pour les vertiges

  2. j’aime beaucoup ce grain du temps indivisible… cette proposition invite à une sacrée lutte, oui, on est dans la mouise ! Fuite ou confrontation, deux remèdes jamais à la hauteur.

  3. Il y a du vertige, effectivement, dans la dissolution de l’homme grignoté par le temps (ou le contraire ?). La réflexion amène le texte et on se laisse embarquer avec un vrai plaisir. Merci pour ce moment.