Demain sera peut-être tout à l’heure.


Il n’a d’abord pas prêté attention à ce qui pourrait être tout aussi bien un léger grésillement qu’un crachotis de radio. Son corps a cherché pendant longtemps une position adéquate pour enfin se détendre. Pas facile. La fièvre vient parfois faire des cavalcades des pieds à la tête. Il faudrait boire. Encore et encore. La tête ne bourdonne pas sinon ce serait insupportable. Disons qu’elle grésille. C’est un son aigu et diffus qui empêche de dormir. Du dehors parviennent des sons urbains. De loin en loin roulement du tram sur les voies. Sonnerie des portes qui s’ouvrent. Voix indisctince qui donne des informations. Chant d’un merle tôt levé entrecoupé d’éclats de voix. Et puis silence. Le bois de l’armoire qui craque dans la pénombre. Respiration du corps légèrement sifflante. Raclement de gorge. Draps qui se froisse lorsque le corps cherche désespérément une poisition accueillante. Silence. Il cherche à ne pas penser. Mais le grésillement recommence. Crachotis de station radio qu’on cherche à capter. Une voix s’est frayé un passage et elle se fait entendre. Très faiblement mais suffisamment pour qu’il l’entende. La voix pourrait donner un contexte, Tu te souviens ? Mais elle n’a pas besoin. Tu souffres et lui avec toi. Normal. Parfois il faut bien qu’il expulse ce trop plein qui l’étouffe. L’étau dans la tête s’est resserré. Il cherche à prendre une grande respiration pour le chasser. Sans succès. Elancement. Mâchoires douloureuses. Tes rêves sont sans queue ni tête ? Tu perds le sens. Il ouvre les yeux mais la lumière qui filtre à travers les stores ne laisse pas voir grand-chose. Tu dégringoles et cherche à te raccrocher à du solide tout fout le camp sous tes pas. Frissons. Ça fait mal. Où vas tu comme ça ? Tu crois que tu ne t’en sortiras jamais. Impression de ne plus parvenir à sentir l’instant. La douleur appelle un cri inexistant. Tu cherches quoi ? Il faut du temps pour détendre un peu le sternum et décrisper les muscles tendus par l’attaque de fièvre. Tu penses qu’écrire pourrait faire mal. Contaminé. Il est contaminé jusqu’à l’os. Les gènes ne mentent pas. Qui a dit ça ? Les gènes des gens ne mentent pas. Coup de chaud. Le corps transpire et se rend compte que la sueur perle à grosses gouttes dans le dos et imprègne les draps. Six générations. Ça peut courir sur six générations. Ah bon ? Souvenir d’une autre voix. Tu l’écoutais dans la lumière artificielle de l’amphithéâtre. Une voix posée qui parlait l’espagnol de Colombie. Des cheveux noirs de jais. Un regard profond qui avait traversé des ténèbres millénaires. Son corps participe au souvenir. Il a tressauté mais la douleur le crispe. Dans le filet de lumière danse un nuage de poussière. Six générations. Tu sais bien que l’effet de souffle peut aller très loin et tout emporter sur son passage. Les os et les viscères crient douleur. Il cherche encore un peu d’air. Le corps est subitement passé à autre chose. La vague s’est retiré. Il attends. Ça grésille encore un peu dans sa tête. Quelques images fugaces le traversent. Ne sais plus si c’est soir ou matin ou bien. Silence. Demain n’est peut-être que tout à l’heure.

A propos de Nicolas Larue

Fin du vingtième siècle j’ouvre les yeux sur le monde. Quelques bonnes décades après, je n’en finis pas de trouver tout ça passionnant malgré tout ;)