#rectoverso #01 | Dur Dur

RECTO

Depuis hier et aujourd’hui, j’affronte les choses. Je ne voudrais pas qu’elles m échappent à nouveau. Avec cette forte chaleur, elles vacillent puis s’évanouissent nous laissant avec une vision tremblotante. La ville déserte se liquéfie, s’écroule à mes pieds. Les immeubles, toutes persiennes rabattues, semblent sortis d’une mutinerie. Calfeutrés, ils restent. Sur une place, telle une perplexité, un fougueux laurier-rose tout ébouriffé et sans malice, s’offre un bain de lumière.

Sous la grosse chaleur intraitable qui aplatit toute la ville, qui traîne de rue en rue sans vergogne, prend d’assaut tous les parcs, je marche à pas lents. Le regard troublé s’aventure jusqu’au prochain coin de rue à la recherche d’une asphalte moins virulente. Un groupe d’ouvriers espionne aussi. Torses nus, casquettes bien arrimées, ils me saluent avec un air de connivence.

Sous l’auvent, un panneau lumineux nous informe de l’arrivée prochaine du tramway n°2. Mais nous avons traversé les voies nous mettant à l’ombre espérant être à l’abri de la fournaise. Il sera toujours temps de courir vers l’arrêt lorsque les minutes à attendre passeront de 5 à 2 puis un signal clignotant nous indiquera l’imminence du tram. Devant sa mère qui s’évente à l’aide d’un journal, une petite fille – sandales blanches, robe rose fuchsia et grand chapeau de paille – danse. On ne voit pas son visage, caché par les bords de la capeline trop grande pour elle, juste son cou gracile. Tous, nous la regardons amusés, conquis. Un îlot de fraîcheur.

VERSO

Le samedi, c’est marché. Se côtoient les étals bio et les autres. Mouvements de foule et quelques agacements quand on croise les cabas à roulettes qui vous marchent dessus, les poussettes qu’on laisse en plein milieu « juste un instant je ne prends que des courgettes… désolée je demande juste… et comment vous les préparez pour le four… .et combien de temps pour la cuisson », les trottinettes qui vous trottent dans les mollets et les vélos porteurs de légumes qui débordent et vous fouettent au passage.Il y a deux étals de vêtements « pour essayer faut vous mettre entre deux voitures là-bas… je n’ai pas de miroir je l’ai oublié… vous pouvez me faire confiance je vous le dirai… si ça ne va pas…. non je ne sais pas si je serai là la semaine prochaine ça dépendra de mon fournisseur ». On voit bien que les adeptes des courgettes bio ne sont pas habillés de la même étoffe que ceux des courgettes sans étiquette. Lin ou viscose, c’est pas pareil. Chez le boucher, tout le monde s’y retrouve. Pas pour les mêmes raisons. Certains pour la viande « ça c’est de la viande… », d’autres d’abord pour la gouaille et ensuite pour la viande. Le chien du boucher ressemble à un gentil renard. Museau pointu, yeux bleus presque blancs et regard franc. Il joue à lancer et à rattraper un os en tissu tout baveux. Il est sympa. Son maître aussi qui a mal au genou droit. Il y a quelques années, il se l’est fait plié à l’envers par son bœuf.

A propos de Louise T.

Des fragments de vies dans divers lieux Afrique du Nord/France/Côte d'ivoire/ France. Villes et campagnes. Ecriture et Lecture. Aimerais être en lien plus étroit avec moi.

10 commentaires à propos de “#rectoverso #01 | Dur Dur”

  1. Merci Françoise. Consigne difficile pour moi et vraiment pas sûre de l’avoir traitée. Alors doublement Merci.

    • La seule façon de ne pas traiter la consigne ici, c’est de ne pas avoir essayer. Dans le verso, en déployant les adjectifs et les métaphores, vous avez de la matière pour un long récit. Bravo pour ce trésor de guerre, je suis sûre qu’il resservira. quand à l’association de malfaiteurs chien/ boucher, elle promet.

  2. J aime bc ce texte Louise , même si la chaleur est accablante , la vie transpire de partout , scènes du marché , géniales !

  3. Je préfère le verso du samedi où tout s’anime où la vie reprend au reste de la semaine du recto où tout est écrasé de chaleur. Et merci pour ces notations « On voit bien que les adeptes des courgettes bio ne sont pas habillés de la même étoffe que ceux des courgettes sans étiquette » et « Certains pour la viande « ça c’est de la viande… », d’autres d’abord pour la gouaille et ensuite pour la viande. » Merci !

  4. Ravie de te lire Louise ! Le RECTO me fait penser à Meursault accablé de chaleur au début de « L’Etranger » notamment la déformation du paysage : « Avec cette forte chaleur, elles vacillent puis s’évanouissent nous laissant avec une vision tremblotante. La ville déserte se liquéfie, s’écroule à mes pieds. » Et puis ces fragments disent bien je trouve l’impuissance de l’humain face à ces événements climatiques extrêmes, force hostile qui nous écrase. Pour le VERSO, oui d’accord avec ce vivant rendu par l’écriture. J’aime ce passage :  » d’autres d’abord pour la gouaille et ensuite pour la viande. » A bientôt !