Je suis de retour. Je le sens instantanément. À la qualité de l’air, un peu humide aujourd’hui. Je respire mieux, comme si mon nez, ma gorge, mes poumons, mon ventre, en retrouvant leur environnement, s’épanouissaient à leur aise, retrouvaient leur parfait fonctionnement. L’odeur de Garonne, du brouillard de Garonne, s’insinue dans l’habitacle dès que la voiture quitte l’autoroute pour prendre le chemin de la maison de rééducation. C’est assez mystérieux, mais c’est ainsi. Peut-être l’effet d’une autosuggestion. J’arrive, je rentre. Indemne ou à peu près. Je demande au chauffeur de l’ambulance de poser mes bagages devant la porte et de me laisser. Je suis bien capable de faire mes formalités d’admission moi-même. Je prends une grande goulée de l’atmosphère du jardin. J’y goûte l’air de chez moi. Les feuilles neuves des vieux tilleuls m’encouragent de leur vitalité. Car je me sens vulnérable. Je dois pourtant avancer. La porte de l’établissement est vitrée et, de plus, elle est double. Elle est de celles dont on franchit une première vitre coulissante, et dont une deuxième s’ouvre pour vous laisser passage. Je peux voir, au travers de ces deux baies, la salle d’accueil de l’établissement. Deux femmes, en blouse bleue, conversent devant la banque d’accueil avec une dame. La silhouette raide, la mise soignée, elle tient en laisse un petit caniche blanc parfaitement toiletté. Visiblement elle s’apprête à sortir. Le chien l’a-t-il compris, qui regarde dehors ? Il jappe. M’aurait-il vue ? Est-ce que je dérange ? Quel conciliabule occupe ces trois personnes ? La directrice, car c’est elle — je la connais de longue date — regarde sa montre. Se pourrait-il que tout l’établissement m’attende, s’inquiète de ma venue ? Suis-je pour lui une aubaine, un honneur ou une charge ? As-tu bien fait de choisir cette maison de repos ? N’aurais-tu pas été plus avisée de t’éloigner du théâtre du drame et de toutes ces questions que l’on ne manquera pas de te poser. Comment y apporter réponse alors que tu n’en sais guère plus sur ton affaire que ce qu’en dit la presse. Il y a bien ce petit fait, ce détail très ténu, qui t’obsède, justement parce qu’il demeure, dans ton esprit, au stade d’impression fugitive. Une bricole, de l’ordre de l’intime, à élucider et à taire au personnel et aux enquêteurs. D’où te vient ce vague sentiment de menace ? N’es-tu pas en train de te jeter dans la gueule du loup ? Les gens de l’intérieur veulent savoir justement ce que tu ne veux pas dire. Allons, ne reste pas dehors. Un peu d’audace, prends ta valise, fais un pas ! La porte ne s’ouvre pas. Il faut sonner ! C’est vrai qu’en plein Covid on n’entre pas dans un établissement de santé comme dans un moulin.