#histoire #09 | Correspondances

Retour – greffe. Retour – griffe. Brûlant les joues. Les organes se rebiffent, se révoltent. L’étrangère. L’incongrue. Traînant sur le sol glissant, grinçant, la grosse valise lourde de sens. Vingt années de sa vie lyophilisées dans 75 litres de bibelots, oripeaux, cartes d’anniversaire, albums photos. 

Elle imagine, avançant dans ce couloir carrelé menant à la porte coulissante, un bras, une jambe qu’on aurait coupé et qu’on chercherait à recoller. Moignon sur moignon. Les sillons de la déchirure auraient été comblés par le temps qui passe. Plus aucune sinuosité ne correspondrait. Il s’agirait de faire rentrer des carrés dans des ronds. Construire des ponts entre la vie d’avant et la vie d’après, entre le couloir et la porte donnant sur un autre couloir, moquetté de rouge.

Elle. On. Se sentirait con. Incongrue. 

La vitre coulissante freine la foule. A son niveau, un policier contrôle les tampons dans les pages intérieures des passeports. Au bout de ce couloir, au seuil de cette porte coulissante, dans l’autre couloir moquetté de rouge, on aperçoit la maison qui n’est plus la maison. L’ancien corps que l’on greffe au nouveau. Est-ce que le sang, les tissus, les membranes finissent par se recoller ? Le policier décide, en scrutant la forme des tampons, si la greffe est homologuée. 

Réflexes à remmagasiner, à rempaqueter. Pacotilles d’une mémoire en filaments étalés sur deux continents. Dans la grosse valise à roulettes glissant sur carrelage trop brillant, trop froid, trop aromatisé, on a fait le tri. Arbitraire. Hâtif. Injustifié. Partagé qu’on était entre l’envie de tout balancer et celle de tout garder. Comme un bras d’honneur, on s’est accroché à l’inutile, au non-essentiel. On a listé les objets qu’il était dérisoire de prendre avec soi : des coccinelles en boîtes de conserve, une peinture d’enfant, des journaux intimes, des lampions, de vieux collants. 

Dans ce couloir, plus les pieds se posent l’un devant l’autre, plus la porte recule. Plus on croit distinguer le corps trapu du policier feuilleter les pages des passeports à la recherche de tampon, plus il s’effrite, s’apparente à l’ombre fragile d’une flamme de bougie. La porte coulissante ne coulisse plus. L’espace se heurte. Le temps se tord. La foule achoppe sur une frontière fossé. On tente de prendre son élan pour sauter. Certains chutent. D’autres se rattrapent à une encoignure. Hurlements. On ne s’entend plus. On est coincé. Retour – rejet. On se dit – elle sait – que la greffe n’a pas échoué, puisqu’elle n’a jamais commencé. 

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