Dans l’obscurité des coulisses, il regarde la marionnettiste qui s’échauffe. C’est sa mère. Il sait qu’il ne doit plus parler, plus faire le moindre bruit. Les doigts s’écartent en araignée, respirent de l’intérieur poussés par une balle invisible jusqu’à l’ultime étape du bandage des doigts. Un morceau de mousse enroulé autour de la phalange de l’index, un sparadrap pour le fixer, l’enfilage des mitaines noires pour dissimuler la peau du bras. Parée. La main au dessus de la bande. Une Trinité. Le Père, c’est l’index tendu, la colonne rien qu’avec le jeu des phalanges, qui s’incline se redresse dodeline se retourne. C’est lui qui portera la tête, en bois, lourde. Le pouce ira dans une des petites mains, les trois autres, tout contre serrés dans l’autre bras du pantin.
La deuxième main, il l’appelle la suivante. Elle n’arrête pas, tourne les pages du livret, éteint les poursuites, règle la musique, lisse une dernière fois les marionnettes sur le râtelier, dispose le bâton, le matelas, les souris sous la bande, aide à la chausse finale puis plonge à son tour dans une gaine, se redresse, s’ébroue et rejoint la trinité, en miroir. Parées pour le renversement des mondes. Qui y a t’il dans une marionnette ? Une main. Qui y a t’il dans un spectacle de marionnettes ? Des mains avec des têtes, des doigts dans les mains.
Peut être est ce la source de l’image de ce rêve où iIl est attablé devant un festin de mains, offertes sur un plateau d’argent, une pyramide de fruits de mer et de crustacés sur un lit de de goémons avec citrons coupés et rinces doigts sur une nappe blanche dont on voit encore la marque des plis. Sauf qu’en s’approchant il reconnaît leurs mains, celles ci avec du plâtre dans les saillies des rides, égratignées par les coupures et l’anxiété qui mange les petites peaux tout autour des ongles, celles là fines et longues comme un tableau de vierge médiévale, et là baguées à chaque doigt avec des anneaux et des têtes de mort, élégantes habituées à tracer des courbes sur un tableau et écrire des signes, ou encore ces paumes lessivées avec des crevasses, ces mains noueuses comme platanes élaguées. Devant cette achalandage cannibale, il cache vite son visage entre ses paumes mais il garde un peu d’espace pour surveiller. Le voilà qui tient le monde dans sa main et peut le faire disparaître. Ses doigts s’allongent s’allongent, s’il lève son index, il porte le paysage en bilboquet et s’il pince avec le pouce et l’index, là contre la pulpe des doigts, il aplatit le monde, avec ses empreintes il absorbe tout. Son index tout près de la pupille occulte le soleil, translucide, flamme de bougie dans la lumière du crépuscule.
Grand merci, Hélène, pour cet aperçu technique, doigté, marionnettiste — et encore pour ces mains masques ou cauchemars !