Il fallait déguerpir de Sainte-Marguerite, les inspecteurs sonnaient au portail. Ils me soupçonnaient d’avoir mis le feu au Cirque. Prendre quelques affaires le temps que ça se calme. Geneviève, me glissa dans le sac ce qui me semblait être un livre de prière. Elle me dit « ça pourra toujours te servir ». Je sautai la porte de petit parc que donnait directement sur le champ de tournesols. Les fleurs étaient hautes, et je traçais ma route, hors d’haleine, à travers ces géantes.
Leur cœur me regardait, leur tête suivait ma course innocente, elles m’ouvraient le chemin et me guidaient jusqu’à l’orée de la forêt devant moi. Il faisait très chaud, la canicule ne nous donnait aucun répit, les fleurs avaient peine à relever la tête toujours tournée vers le soleil implacable. Certaines grillaient littéralement ; d’autres résistaient encore, sous les jets de l’arrosage automatique du soir. Mes compagnes de voyage m’offraient encore quelques gouttes de rosée, je me désaltérais plongeant goulument dans leur cœur mousseux.
Je commençais par entrer dans la forêt par une clairière. Il n’était pas bon, courir encore à découvert et je décidais de virer à gauche toute et de m’enfoncer dans les fougères. Je les enjambais à toute force. Dans un élan démesuré, il me semblait que je volais au-dessus d’elles. Essoufflé, je décidais de ralentir le pas, car, enfin, personne ne pouvait me retrouver au si profond de la forêt. Alors que le soleil perçait à travers les branches, des faisceaux de lumière m’invitèrent à m’asseoir pour ouvrir mon sac et manger ma maigre ration de nourriture. C’est alors que tomba de mon sac une petite bible. Enfin c’est ce que je croyais, jusqu’à ce que je lise son titre « Les illuminations. Artur Rimbaud ». Ce devait être un livre de collection, sa couverture cartonnée de moleskine rouge. Je me souvins que ma vieille patiente l’avait toujours à son chevet et dans la précipitation de mon départ, il y avait urgence à ce que je parte avec ce livre.
Elle parlait souvent de ce «poète aux semelles de vent », comme elle l’appelait et nous déambulions dans le parc de l’hôpital. Elle me disait écoute , écoute , il n’y a rien de plus beau. Répète après moi : « j’ai embrassé l’aube d’été …En haut de la route, je l’ai entouré avec ses voiles amassées et j’ai senti un peu son immense corps.» et peu à peu j’ai prononcé ses mots doucement d’abord sans les comprendre et puis je me suis laisser bercer par la voix de Geneviève et j’ai compris…
Là, assis, seul, à l’ombre des grands arbres, la voix de Geneviève accompagnait encore mon pénible déchiffrement, mot à mot, je pesais et répétais à votre basse, chaque phrase pour les faire raisonner dans mon cœur et dans mon âme, je finis par m’endormir moi aussi « aux fronts des palais » ce nouveau missel en main.
C’est une promenade avec la voix de Geneviève qui lit Arthur Rimbaud ? En tout cas, c’est un beau texte !
Rimbaud risque de s’étouffer de rire en lisant qu’il a écrit un livre de prières ! Moi, je trouve que s’endormir avec ce missel là c’est un bien beau cadeau. Merci