TEXTE n°2 : à ce stade de la nuit
RECTO
à ce stade de la nuit, je dors profondément. Tout est calme dans le baraquement endormi. La nuit noire veille, sur qui, sur quoi ? Je suis réveillée en sursaut par des hurlements. Ça s’agite, ça crie, ça panique. On se précipite dans la cuisine éclairée par le clair de lune. Il fait froid ! Le poêle a consumé son dernier seau à charbon de la veille.
à ce stade de la nuit, je saute du lit, me précipite dans la cuisine. Je la regarde, elle suffoque. Ses plaintes me heurtent de plein front et se font de plus en plus insistantes. Dans le branle-bas de combat c’est la course contre la montre, pas une minute à perdre. Ma plus grande sœur et mon grand frère, âgés de onze et neuf ans vont cherchés le docteur, à pied, dans le froid glacial de décembre.
à ce stade de la nuit, les voisins sont là, Ils la maintiennent debout – dehors dans l’embrasure de la porte, l’air lui manque de plus en plus. Ses cris, ses plaintes s’essoufflent. Elle grelotte, s’épuise. Ils la ramènent à l’intérieur.
à ce stade de la nuit, je suis invisible. Ils sont tous autour d’elle, elle est de plus en plus fatiguée, ils essaient impuissants de la sauver, ils l’amarrent en bout de table sur une chaise pour la soutenir, son corps ne la soutient plus. Moi la petite, j’observe, je la vois, je les vois. Ils s’affolent. Je vois qu’elle ne me voit plus, qu’elle n’entend plus, qu’elle ne se plaint plus.
à ce stade de la nuit, le temps avance lentement, l’attente pesante, l’arrivée du médecin interminablement longue.
à ce stade de la nuit, vite, ils nous envoient dans sa chambre, vite, ils l’allongent sur le lit de mes sœurs.
à ce stade de la nuit, rapidement tout bascule.
à ce stade de la nuit, avant même qu’ils ne disent « c’est fini », je grelotte. Elle me quitte. Elle nous laisse.
à ce stade de la nuit, je ne sais plus… Je ne devais plus me souvenir. Tout s’était figé cette nuit-là. La date – mon âge – …
Texte très fort!
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