#rectoverso #04 | Il faut la prendre dans les bras*

Entre eux deux c’est une grande histoire. Une histoire qui pourrait ne pas avoir d’âge. Une histoire qui traverse le temps, qui pourrait remonter à la préhistoire. Une histoire à soubresauts, à rebondissements.

Quand on aime on ne compte pas

Elle devait en rêver, bébé, quand elle tétait le sein de sa mère. Depuis, elle s’est bien rattrapée. Pourtant des ruptures elle peut en compter, elle en serait même fière. Pas des rechutes. Des réconciliations, oui, qu’elle dévorait, et pas que des yeux.

Tu ne peux pas te passer de moi

Pourtant, il y a six mois, elle croyait bien avoir réussi à définitivement s’en détacher. Libérée, délivrée. Elle pensait, après avoir ramassé çà et là les miettes laissées sur la table, que tout était terminé, basta, qu’elle ne serait plus sous son emprise, dans cette adoration qui lui faisait faire des kilomètres, de nuit parfois, pour assouvir son besoin de l’avoir près d’elle, avec elle, en elle.

Tu ferais bien un jour de méditer à ce que je représente pour toi à chaque fois que tu viens me chercher, parles-en à ton psy il pourra peut-être t’aider

Elle ne savait quelle partie de son cerveau avait pris la décision, mais cette fois était la bonne. Elle avait senti qu’elle pourrait s’en séparer sans souffrir, sans ce sentiment de manque au bord de l’insoutenable qui prend au creux du corps, aux tripes, qui donne un mauvais gout dans la bouche comme au début d’un jeûne. On croit que passer la deuxième la troisième la neuvième journée sans manger sera insurmontable. C’est alors que chaque soir est un jour gagné sur la peur du vide et qu’une sensation de légèreté devient prégnante, réconfortante, jouissive même .

Abandonné, comme remisé à la cave, pire, au fin fond d’un placard cadenassé, on est mal et dans cette obscurité abyssale on peut vite devenir fade, sans saveur, perdre sa couleur, se liquéfier, fondre d’ennui

Il aura suffi d’un furtif instant d’intense nervosité, comme l’annonce du départ inopiné de son fils à l’autre bout du monde ou l’arrivée d’une folle facture d’électricité, pour qu’elle craque, qu’elle court le rechercher pour un peu de réconfort, juste un peu.

Enfin sorti du noir, avec un peu beaucoup d’amertume, comme tu l’aimes, à pas moins de quatre vingt cinq pour cent de ma concentration génétiquement non modifiée

Ce jour-là, énièmes retrouvailles prenant curieusement l’allure d’épousailles à la vie à la mort, elle le prit délicatement entre ses doigts, l’admira, il était beau et doux et dur et noir. Elle le porta tout près de ses narines, il sentait bon, et pour la première fois plus que cela, il délivrait une odeur de lointains paysages, nichés quelque part dans des contrées reculées d’Amérique latine, une odeur d’écorce ancestrale, primitive. Elle l’approcha de ses lèvres gourmandes, il livra en glissant langoureusement dans sa bouche un gout dont la sensualité rivalisait avec le raffinement, c’est peu dire de la subtilité de la sensation à cet instant qu’elle prolongea autant qu’il fut possible de retenir ce qui fondait le long de son palais et sur sa langue toutes papilles excitées, avant de fébrilement tout engloutir et de se sentir emportée ailleurs comme envoutée par un gong de pleine conscience.

Enfin tu captes l’information : tout communique avec tout. Le plaisir était à la mesure de ma générosité née de mon hérédité, de la terre où j’ai grandi, de l’air que j’ai humé, de qui m’a fabriqué comme tu m’as trouvé. Pour une fois, la première fois, tu ne m’as pas dévoré, en pensant à autre chose, par gloutonnerie, par habitude, pour calmer ta nervosité et ton anxiété. Cette fois tu étais présente au moment présent de notre communion et c’était juste bon, délicieusement savoureux

Exit la passion, empoisonnante. Exit la crise de nerfs comme quand elle était en manque. En manque de quoi, d’amour, de joie, de sécurité. Avec des peurs alors, des peurs de perdre tout et n’importe quoi, des peurs de mourir. Avant, elle prétextait manque de dopamine, de sérotonine, et invoquait des messagers tryptophano-théobrominaires pour faire alliance et la sortir indemne de l’escalade de son cortisol au sommet de l’ingérable.

Enfin des mots sur notre relation, c’est un bon début pour la suite. Tu vas pouvoir te délivrer de moi sans te séparer de moi. Une prouesse pour accéder à un amour sans emprise, un amour sans attachement, un amour tout court

Exit aussi les crises de foie. Juste foi en elle. Il est là, à côté d’elle, elle n’y touche pas. Il attend, patiemment, le juste moment. De la dégustation dans la délectation. Sans addiction.

Entre toi et moi, c’était une sacrée histoire qui s’est métamorphosée en une histoire sacrée comme étaient honorées les fèves cultivées par mes aïeux maya qui accompagnaient les rites de naissance et de mort. Parait même que tu es sur le point d’écrire un roman sur moi, sur moi et toi, sur toi et toi, sur toi et les autres, tous les autres. Une histoire toute simple sur des vies compliquées.

Il y aura, comme dans toutes les petites et grandes histoires, un personnage central. Le chocolat.

*Extrait de la chanson du chocolat ( Salvatore Caltabiano)

A propos de Eve F.

Rédige des assignations et des conclusions, défend le veuf et l'orpheline, écrit sur le Droit et son envers, la Justice et ses travers, le bien-être et son contraire, les hommes et pas que, le bruit du monde et ses silences, aussi.

12 commentaires à propos de “#rectoverso #04 | Il faut la prendre dans les bras*”

  1. Délictueuse emprise du chocolat à plusieurs voix. Sans compter celle, lointaine et étouffée, d’une certaine culpabilité. On est toujours coupable quand on mange du chocolat. Merci Eve pour ce texte fondant.

    • .. comme si le plaisir était coupable… mais qui peut nous avoir mis cela dans la tête?? Merci pour le  » fondant » !!

  2. ce chocolat pareil à un objet de désir extrême ! quelle magnifique idée… cette emprise… on savoure à plein nous aussi
    mais où trouver la compensation ? dans les bras de qui, hein ?
    Une lecture à double sens (d’ailleurs j’étais partie sur une lecture vraiment coquine au commencement !…)
    salut Eve…

    • merci pour ce retour de lecture avec questions à tiroir passionnantes et point d’exclamation partagé …ah l’inconscient se faufile partout même dans un carré de chocolat
      merci à toi!

    • j’en ai souri moi-même en me relisant, ce texte a coulé sur la page écran comme le coeur d’un fondant au chocolat!

  3. Une emprise savoureuse dont il ne faut surtout pas être coupable, ni se déprendre 😉 . Une merveilleuse histoire d’amour !

  4. L’inquiétude du début laisse la place à un humour doux, qui n’a de noir que la couleur du chocolat.