D’abord c’est le chêne qui m’a fait aimer la maison. Un vieux chêne aux branches tortueuses de l’autre côté du mur, du mur mitoyen. Un arbre modeste dans sa hauteur mais avec des branches basses presque horizontales et joliment tortueuses, m’évoquant des dessins à l’encre de Chine. Et puis le feuillage volubile et la lumière latérale vibraient ensemble au moment de notre rencontre. Ces petites taches tremblantes dans la cour m’ont séduite. Le béton en mauvais état de cour s’estompait un peu, là devant cette maison qui sera celle où j’habiterai quelques années.
D’abord il y avait le platane immense et majestueux, dans la cour de l’école voisine. A deux jardins, deux maisons de chez moi. Dans ce platane les oiseaux venaient piailler, se reposer, se raconter des histoires, se chamailler : vivre. Là derrière cet arbre opulent, le soleil se couchait, orange foncé en été lorsque je mangeais dans la cour avec des amis, sous les branches du chêne des voisins. J’aimais ces couchers de soleil.
Avant il y avait un bloc de HLM de l’autre côté de la rue, de taille raisonnable, quatre, cinq étages. Acceptable un bloc. Pas de quoi dissuader d’habiter prés des arbres, même si la vue sur la façade rose passé et les balcons aux bacs à fleurs desséchées ne me réjouissait pas. Mais au moins ne serait pas construite une tour en face de ma cour, de mes fenêtres.
Et puis brutalement en quelques mois, ce presque beau décor a changé.
D’abord il y a eu le début du gros chantier, de l’interminable chantier. Réhabilitation du bloc HLM de l’autre côté de la rue et aménagement d’un étage supérieur. Je ne souhaite à personne de vivre en face d’un tel vacarme, avec tant de décibels dans les oreilles pendant des mois. Même les dealers du coin ont déménagé, pourtant ils font leurs affaires la nuit venue, quand les ouvriers sont partis, que la rue pour quelques heures, pour quelques heures seulement redevient calme. A ce jour pas terminé le chantier, mais le luminaire qui éclairait la rue ne fonctionne plus.
Un peu après, la propriétaire de la petite maison et du petit jardin entre le platane de l’école maternelle et chez moi a décidé d’agrandir, de rehausser son habitation. Second chantier synchrone à celui du HLM. Construction en bois. Avec toit terrasse si on étudie les plans, le permis de construire déposés en mairie. Pendant des mois couvreurs, plaquistes, charpentiers et menuisiers clouent, frappent, découpent, se parlent comme si l’autre ouvrier était sourd ou de l’autre côté de la terre. Et petit à petit la surface de la maison mange le jardin, mange de plus en plus le ciel. Mon ciel. Mon coucher de soleil personnel. Au final je ne vois plus que la cime du platane. Fini de parier sur qui regagnera le nid le plus perché des pies, des perroquets verts ou des merles quand le soir viendra.
Et puis il y a eu la mort du chat des voisins. Je l’aimais bien ce chat-là, il faisait partie de mon quotidien. Rares étaient les fois où il grimpait sur les branches du chêne ou dormait sur le fauteuil dans ma cour. Plus jamais de grosse boule de poils blancs sur le coussin rouge.
Et puis le pire, vraiment le plus douloureux, ce fut la mort du chêne que j’aimais tant. Elle était annoncée depuis longtemps, énoncée et programmée par ma voisine qui ne voulait pas d’ombre sur ses fenêtres. Les feuilles obscurcissent l’intérieur, vous comprenez. Non je refuse de comprendre, de compatir. Laisser vivre ce chêne, laissez-moi aimer ce chêne. Alors elle a trouvé un stratagème, un élagueur qui lui a dit ce qu’elle voulait entendre. Ce vieux chêne est malade, Madame, il risque de tomber. C’est dangereux, il pourrait endommager les maisons, occasionner des poursuites judiciaires… De l’autre côté du mur je priais pour cet arbre, je priais qu’il ne soit pas abattu. Malgré mon attachement profond à ce vieux chêne un peu chétif, un lundi matin, un élagueur professionnel est venu. En moins de deux heures plus de chêne. Un grand vide dans mon cœur. Un trou dans la végétation.
Restent ci et là dans des pots de terre quelques glands germés dont les tiges ressemblent à des bonzaïs sauvages, et les amis complimentant sur la croissance vraiment accrue cette année des bambous, comme un proche dirait elles sont belles tes nouvelles lunettes alors qu’on a changé de coupe de cheveux. Ne voient-ils rien de LA disparition ?
ce texte nous touche à plein
terrible l’éradication des arbres, d’un arbre en particulier… il n’y a pas de raison valide pour cela et l’arbre demeure irremplaçable et à jamais « irremplacé »
il était la vie, le vent, le Tout…
après lui reste le trou, le vide de la perte
(je sais aussi et suis totalement solidaire…)