#rectoverso #01 | Une semaine bien ordinaire

Vendredi matin, je sors la voiture de la cour, je descends la rue et rejoins la D723 pour me rendre à R, petite ville semi-rurale à 20 minutes de la grosse agglomération. J’y arrive sans difficultés. Je suis dans le bon sens de circulation. Les techniciens que j’ai eu l’habitude de fréquenter parlaient de « mouvements pendulaires ». L’art consiste à ne pas être dans le sens campagne – ville le matin et dans le sens ville -campagne le soir. Mais, le plus souvent, on n’a pas le choix. On est dedans jusqu’à l’essieu. Je me gare près de l’Eglise en rénovation, là où il y aura peut-être de l’ombre une partie de la matinée. Cette Eglise a été la vedette d’un film très populaire il y a quelques années. Film où Richard Bohringer , encore plus ivre qu’il ne l’a sans doute été dans sa vie tenait le rôle principal aux côtés d’Anémone. C’était bien, bourré de bons sentiments et de senteurs nostalgiques. Je saisis sur le siège arrière les documents nécessaires à la réunion en Mairie. Comme je suis en avance – c’est une constante, presqu’une marque de fabrique chez moi – je fais le tour du bourg et j’apprécie la fraîcheur matinale. Je pense un moment à pousser la porte du café  » A la bonne grappe » . Populaire et sympathique. Je ne le fais pas. Puis celle du Cabarotier voisin, que fréquentent les jeunes et les classes moyennes mais il n’est pas encore ouvert. Je passe devant la boulangerie et me demande, une fraction de seconde, si je vais m’offrir un croissant ou un pain au chocolat. Je regarde ma montre. Trop tard. Je me dirige vers la Mairie . Devant la Mairie, je découvre une scène insolite . Une Clio bleue, en bon état, juchée sur des parpaings car les quatre roues ont été fauchées pendant la nuit. J’échange trois mots sur le sujet avec les gens qui attendent l’ouverture de la Poste. J’entre dans la Mairie;

Samedi matin, je sors la voiture de la cour. Je râle contre l’abruti – un voisin- dont la voiture mal garée, gêne mes manœuvres. Je me demande, au rond-point s’il est préférable de passer par le périphérique ( attention ! risque de bouchons) ou par les petites routes intérieures. J’aime tellement peu les bouchons – même virtuels- que je choisis la deuxième option, J’arrive à V. Ville de plus de 20.000 habitants dont le centre a des allures de gros bourg rural. Je me gare le long de la rivière et la longe ensuite dans la fraîcheur matinale. Je rejoins le centre en remontant le coteau. Je m’essouffle. Je constate que les rues sont encombrées alors qu’il est encore tôt. Une fois sur la place principale, je comprends la raison de ces encombrements. Deux mariages vont être célébrés ce matin. Je m’assois sur un banc. Spectateur , je commente en mon for intérieur, les tenues et les postures. Je cherche la mariée des yeux. Je la vois, menue et mignonne, tout de blanc vêtue. Toute l’histoire et la sociologie de la Ville contenues, en bref, dans les scènes qui se donnent à voir ce matin là , entre Mairie et Eglise.

Dimanche matin, je sors la voiture de la cour. Je passe au Marché U local. Comme je suis en avance je prends le temps d’explorer les nouveaux aménagements réalisées par les Services métropolitains à la demande de la Mairie. Moultes réunions de concertation ont été organisées au préalable, j’en suis certain.. L’idée de reverdir les espaces bitumés et de rendre les espaces publics – placette devant la modeste chapelle, trottoirs et délaissés de voirie – plus conviviaux était plutôt bonne mais le résultat est décevant. Le Marché U, bâtiment standard et moche, est entouré de plusieurs groupes de logements sociaux sans aucun caractère. Les travaux réalisés paraissent être emplâtre sur jambe de bois. Je ravale tous les commentaires irrévérencieux qui me viennent à l’esprit et je dis :  » oui, au bout du compte, c’est mieux » sans grande conviction . Un mouvement devant la porte vitrée de la supérette indique que ça ouvre. Je me dirige vers l’entrée. Comme d’habitude, les premiers clients sont des retraités qui viennent acheter le journal du jour , Presse Océan, Ouest France et parfois la Tribune du dimanche Une fois ces emplettes faites, ce qui ne prend pas beaucoup de temps, je salue quelques têtes connues à la sortie et rejoins le parking et la voiture. Je prends la direction de R.

En passant devant la voiture sans roues, les commentaires vont bon train. On peut se gausser tant qu’on veut d’un soi-disant repli sur soi de la population, il n’empêche que ce type d’évènement crée du lien. « Et dire que ça se passe juste devant la Mairie, le long d’une route passagère » « ça n’arrivait pas avant ». Deux hommes, en tenue de travail, sans doute des agents municipaux, se veulent plus avertis que les autres  » Ils ont cassé une vitre pour ouvrir la voiture et prendre les écrous de sécurité dans le coffre ». Des voisins compatissent avec la personne dont la voiture a été vandalisée  » Heureusement, il en a une autre, oui, il habite là, juste en face » . Il faudrait rester sur zone pour une petite étude de l’évolution du ressenti de la population face à la petite délinquance en secteur semi-rural. Je n’ai pas le temps.

A V. je suis mal placé, assis le banc en spectateur pour saisir ce que se disent les mariés et tous leurs invités. J’observe, en compensation , les tenues qui rivalisent toutes d’originalité et j’imagine ce que ces gens-là disent.  » Chérie, tu crois que j’ai bien fait de mettre mon pantalon vert ? »  » Et moi, mon bustier blanc? Pas trop décolleté ?  » . Le curé sort de l’église et accueille le couple de mariés. Il avance les deux mains ouvertes, marque de bienvenue et murmure à l’oreille de la mariée, menue et mignonne, tout de blanc vêtue , des mots qui lui vont droit au cœur et qui la font sourire.

Devant le Marché U , l’homme dont on dit qu’il vient chaque matin, dès l’ouverture, acheter une bouteille de gin. Son visage accrédite ce que murmure entre eux des clients peu compatissants. On le voit souvent remonter les rues qui vont d’un groupe d’immeubles assez récent jusqu’à la supérette. Toujours la même tenue, une paire de rangers aux pieds et cette expression fermée, voire agressive dans le regard. Pense-t-il qu’on le juge ou qu’on le condamne ? Un groupe de trois retraités , toujours ponctuels, dont j’ai appris les prénoms – pour les oublier très vite, hélas – et avec lesquels je commente la météo de la semaine passée et de la semaine à venir. J’apprends qu’ils font de la bicyclette et pas qu’un peu.  » Hier, j’ai fait une centaine de kilomètres !  » . J’ai la honte au front en pensant au 15 kilomètres de marche que je me suis imposé il y a quelques jours.

A propos de Alain Bastard

Educateur spécialisé puis Directeur de Services communaux, absorbé par le travail et les formations professionnelles, j'ai toujours su garder du temps pour lire assidûment mais n'ai jamais appris à écrire que des rapports, des notes et autres comptes-rendus. Je cherche, dans la douleur, à trouver une voie pour être plus à l'aise avec l'écrit.

2 commentaires à propos de “#rectoverso #01 | Une semaine bien ordinaire”

  1. merci, Alain, oui c’est peut-être cela renverser l’obstacle : oser la longueur, laisser venir l’ensemble de ce qu’il y a à dire, et ce qu’il y a d’humanité sera porté avec le reste…

    • Merci à toi surtout. Je suis bien conscient que ce n’est pas excellent . Mais il est nécessaire que je retrouve le goût d’écrire , la confiance et la persévérance et un ton dans lequel je me sens à l’aise. Une discipline d’écriture spontanée perdue au fil de mon existence professionnelle de bureaucrate . Je n’attendrai jamais des sommets mais au moins aurai-je essayé de me hisser un tout petit peu. Remerciements renouvelés.