Recto – Codicille
Écrire pourquoi ?
Écrire seule ou à plusieurs pour jouer avec les mots et leurs rythmes.
Écrire n’importe quand, y compris quand la tristesse m’envahit ou pour rompre la monotonie.
Écrire dès l’aurore, le midi, l’après-midi, au crépuscule ou la nuit. Piocher dans les souvenirs, parfois dans ceux qui n’ont été encore révélés à personne. Et puis vaquer à mes occupations : travailler, bricoler, dessiner, visiter les musées, aller à la bibliothèque et en librairie, voir un film, lire un livre, marcher, courir, danser, chanter, clamer, réciter, déjeuner, dîner, contempler la nature, admirer l’architecture.
Être dans une ville dans un autre pays, être totalement immergée dans cette nouvelle culture et finalement m’accorder une pause d’écriture, choisir un autre lieu, un personnage, une autre époque et leur injecter le patchwork des émotions traversées au cours de mes dernières pérégrinations. Créer des liens, des ponts, rebondir, attendre que ça couve, une heure, un jour, un mois, une année, voir plusieurs. Redécouvrir à chaque fois, stupéfaite, la puissance de l’inventivité. Se croire capable d’improviser et de partir du néant.
Écrire pour séduire, pour rire ou pour pleurer, pour me prendre au sérieux quelques heures ou pour apprendre à renoncer à tout ce qui est parfait.
Écrire pour me faire peur ou me faire mal, et qui sait pour simuler de tuer.
Écrire pour m’évader, explorer sans frontières mentales, géographiques et temporelles.
Écrire pour vivre mille vies, pour ralentir la mort, pour être éternelle.
Chiner longtemps dans les papeteries et les merceries.
Effleurer les matières, imaginer des plumes, des stylos, des feutres et des encres courir sur tous ces supports fabuleux.
Rêvasser à la lecture des marques des carnets : Moleskine, Papier Tigre, Quo Vadis. Ne pas pouvoir choisir, vouloir tout prendre, quitter le magasin avec quelques articles.
Rentrer dans mon antre, ma caverne, ma roulotte, mon palais pour tout déballer.
Prendre un stylo, voir au troisième mot que l’encre s’amenuise, en prendre un second qui ne fonctionne plus, m’énerver, découper, faire un collage, reprendre l’écriture le lendemain, me désespérer du tracé de mes lettres, de leur forme illisible.
Me projeter dans un atelier de calligraphie.
Noircir de nombreux carnets de notes de lecture, relire quelques passages.
Se fabriquer plusieurs carnets de mots et de citations et les remplir au fil de l’eau. Y puiser à l’épuisette de temps en temps.
Avoir une idée en tête, se diriger vers les étagères de livres, tendre une main vers un auteur, lire quelques passages, s’en saisir, laisser mûrir, ne plus y revenir jusqu’au prochain appel.
Verso – 15 amorces ou fragments d’histoires inspirés de la liste des 162 entrées du Sei Shônagon et d’autres mots…
01. Au printemps, c’est l’aurore, elle marche pieds nus dans les joncs, reboutonne son corsage, les cheveux tout ébouriffés et sa jupe froissée…
02. Au marché de Châlons, près du canal du Mau, les senteurs du blé doré se mélangent à l’odeur âcre du cuir des artisans cordonniers…
03. La carrière souterraine de Vigneronne, c’est là que Louis a appris de maître Jean à débiter des pierres de tuffeau…
04. Le bassin, sous la cascade, est son repère depuis sa plus tendre enfance. Elle s’y réfugie dès qu’elle étouffe de trop d’échanges avec ses semblables…
05. Les arbres, noyés sous l’eau, se sont fossilisés avec les années. Aujourd’hui, ils se dressent noirs et endeuillés au fond de la vallée. Le barrage vient d’être vidé et un mince filet d’eau serpente au milieu d’une terre ocre et craquelée…
06. Les instruments à cordes que l’on voit suspendus dans l’atelier du luthier ont été fabriqués pour le sieur de Courtemanche qui organise tous les jeudis soirs un concert très particulier dans sa chapelle…
07. Dans le sous-bois, il aime à se promener seul de longues heures et à mêler sa vie à celle des daims, des chevreuils et autres cervidés…
08. Le sanctuaire est enfin devant elle, niché en plein cœur de ce quartier d’Ôsaka. Elle s’agenouille devant l’autel de son dieu protecteur et murmure « Shirataka…
09. – Kappa 1 Ceti est l’étoile la plus jeune, me dit Hervé en sortant du planétarium. Tout en parlant, il observait la jeune femme qui longeait le bâtiment situé sur notre droite. – D’après les astrophysiciens, son âge correspond à celui qu’avait le Soleil au moment où la vie se serait développée sur Terre. Elle était élancée et très gracieuse…
10. – Motus et bouche cousue, lui répète-t-il souvent, en plaçant l’index de sa petite main droite et potelée devant sa bouche. — Tu dois garder le secret, promis-juré…
11. L’odeur boisée du santal l’envahit tandis qu’elle pénètre dans l’église. Elle se signe rapidement puis se dirige sans hésiter vers un des personnages sculptés du jubé. Il est grand et majestueux. La finesse et la douceur des traits de son visage l’émeuvent jusqu’aux larmes. C’est certainement pour cette raison qu’elle lui rend visite avec une grande régularité. Se croyant seule, elle songe aux choses qui ont une grâce raffinée. Mais sursaute soudain en entendant derrière elle la voix de Louis…
12. Balbuzard, c’est le nom qu’il a donné à son compagnon imaginaire, ignorant que c’est aussi celui d’un grand oiseau rapace. Le personnage est apparu la nuit qui a suivi la naissance de son petit frère. Maintenant que sa maman est très occupée, ce drôle d’énergumène l’accompagne dans le moindre de ses déplacements et lui glisse à l’oreille de nombreuses sottises…
13. Ce petit morceau d’étoffe de velours, de 3 x 5 cm, qui est de couleur mauve et qui n’apporte rien d’extraordinaire au regard prend pourtant une importance exagérée car il le lui a donné l’autre jour sur le porche de l’église quand ils se sont quittés…
14. Chansons qu’elle entend derrière le haut mur de la propriété, voix féminines et masculines qui chantent en duo puis se répondent…
15. Elle s’est allongée au pied du grand chêne, celui qui borde l’entrée du bois de Bergeolle. Les rayons du soleil d’automne sur sa nuque lui procurent une douce impression de chaleur. Elle regarde attentivement une fourmi qui contourne une brindille et qui surmonte patiemment les obstacles dressés sur sa route. Elle pense à sa vie, à la somme de ses empêchements et à ses ruses pour les esquiver…
Heureuse déclinaison des « écrire » ! Merci ! Quant au verso, des mots de Sei S. comme des fenêtres où écrire autre chose ! Bravo !