#rectoverso #01 | Paris, la chaleur et les bruits dans la tête

RECTO

  1. La chaleur était au zénith. Il paraît qu’aux tropiques, il y a un moment de la journée où le soleil à pic est si haut dans le ciel, si au-dessus des têtes, que toute ombre disparaît dans la lumière aveuglante et sans relief. À ce moment-là, on dit que le soleil a envie de s’enfoncer dans les entrailles de la terre ou dans un puits de forge. 

Il marchait, le chapeau à larges baves sur la tête, qui l’empêchait de fondre sous ces 37 degrés que tout le monde semblait supporter comme si de rien n’était. Jamais il n’avait eu autant envie de se diriger vers la station de métro Saint-Paul qu’aujourd’hui. Il longeait la rue des Francs Bourgeois, étrangement dans une ombre encore dense, comme si cette rue ne se sentait pas concernée par la canicule. Il venait de sortir. Il accéléra le pas, tourna à droite, et s’enfonça dans la rue Pavé. Au fond, un grand arbre se dressait, mais entre-temps, c’était une véritable fournaise.

Depuis un mois, cette rue n’était plus ce qu’elle avait été : une simple voie, avec sur la gauche la bibliothèque de la Ville de Paris, qui lui donnait un aspect un peu cossu. 

En quelques semaines, des bouts de pierre assemblés en un pavage d’un style ancien, avaient pris le dessus : la rue ne comptait désormais plus de trottoirs, elle était devenue une voie piétonne. Les touristes s’y arrêtaient, s’asseyant sur les bancs récemment installés par la mairie, qui semblait vouloir accélérer le processus de transformation de cette rue, passant de simple voie à un lieu d’accès privilégié entre le métro Saint-Paul et le Marais. Un point de repère pour des visiteurs toujours plus nombreux, une place désertée, vide…

VERSO

2)La dame lui demande : « Mais vous êtes déjà venue, non ? »
Elle répond : « Oui, avant-hier ; c’était pour la tête. Aujourd’hui, c’est pour la hanche. » La dame sourit. Un souris en coin de bouche. On est tout de même pressés. C’est une institution qui presse. 

Une consultation, un quart d’heure — il faut faire vite, savoir quoi dire, tout déballer d’un coup, toute une vie. La semaine avait été chargée, du jamais vu pour elle, qui n’allait pas volontiers chez le médecin. Une semaine à l’enseigne du rattrapage, une série de spécialistes l’ont regardée, évaluée, mise sur la balance de la bonne conduite du patient.

C’est quoi un bon patient ? Quelqu’un qui ne fait pas chier, qui accepte, qui ne se détourne pas du chemin prescrit, quelqu’un qui surtout ne se révolte face aux examens, qui accepte que ça se passe.

Aujourd’hui, c’est la hanche, elle dit à la femme blonde, un peu déjà âgée mais si mignonne, avec ses cheveux blonds au vent, un petit air de je-m’en-foutiste. La blonde comprend qu’elle a posé une question de trop, qui aurait pu modifier de quelques minutes cet emploi du temps draconien. Parce que la machine en question — une IRM — est très coûteuse, et qu’elle sert à plusieurs spécialités, du cerveau à la hanche. Le même tube de l’autre jour l’accueillera pendant vingt minutes. Cette fois, pour sa hanche, sera une promenade. Cette fois ci sa tête restera presque à l’extérieur de cette bombe ronde, de cet étrange tube étroit dans lequel il faut se laisser enfermer. Elle ne croyait pas être claustrophobe. Et pourtant, l’autre jour elle avait bien dit à la blonde qu’elle pouvait l’être. C’était d’ailleurs une option à cocher dans la feuille à signé et elle l’avait coché. Mais elle n’avait pas eu le temps de s’expliquer. Après avoir retiré tous les métaux de son corps — boucles d’oreilles, colliers, même son soutien-gorge à cause de la petite fermeture en métal, on lui avait ligoté la tête au bout pour qu’elle ne bouge pas d’un millimètre, on avait fait d’elle ce qu’ils voulaient.

Aujourd’hui, elle allait entrer à nouveau dans ce grand tube, ce même cylindre étrange, froid. Elle se remémora que deux jours auparavant elle avait failli sonner l’alarme, incapable de tenir plus longtemps dans cet espace de l’au-delà, aseptique et vide dans lequel ils l’avaient enfermée. Il n’y avait aucune voie de sortie, seulement ce bruit étrange qui commençait à surgir, s’enfonçant dans sa tête. Un cauchemar sonore : un grondement sourd et oppressant, semblable à un tournoiement de moteurs lointains, mêlé à des claquements secs au rythme saccadé, comme des marteaux qui frappent contre des métaux lourds. Puis un sifflement aigu, un souffle métallique, une vibration, une cacophonie robotique triturant les bribes de son silence intérieur. Elle avait cherché à contrôler sa respiration : quatre inspirations, puis cinq, plus lentes, pour contrer son émotion et une révolte qui commençaient à la submerger.

Après l’examen, l’analyste de l’IRM ne l’avait pas fait attendre comme tout le monde à l’extérieur. Il voulait savoir la raison de ce test:
« Pourquoi, madame, avez-vous voulu faire un examen neurologique ? Qui vous a conseillé de le faire ? » 

Elle avait répondu simplement : «la mémoire me lâche. Je ne me souviens plus de rien. » Continuant à regarder les résultats de l’examen, sans lever les yeux sur elle, la spécialiste IRM  lui demanda soudain, d’un ton brusque :
« Pouvez-vous me dire, madame, le nom du président de la République ? »

Elle n’hésita pas une seconde. La réponse lui échappa sans effort :
« Macron ! » 

3) Un check-up est normal à votre âge, si on le faisait pas à vous à qui devrait-on le faire ? Lui avait dit l’interniste, je ne sais pas quoi, le spécialiste de tout ce qui est à l’intérieur des corps, tout ce qui est mou, comme l’œsophage, l’estomac… Il avait souri.  Ils venaient à peine de se croiser dans le hall du bâtiment : lui avec ses cheveux longs et son vélo, elle à la recherche des codes d’entrée. Elle lui rendit son sourire. 

Ce n’était pas un médecin comme les autres, sûr. Il lui avait d’abord demandé d’où elle venait, sans doute du sud, comme lui, c’était un bon socle d’entente. Elle était là pour avoir son avis sur des problèmes de déglutition qu’elle avait de temps en temps. Lui aussi avait eu des soucis à ce sujet, depuis combien de temps était-elle à Paris ? Elle lui expliqua qu’elle enseignait. Elle aurait cru qu’il la draguait.  

Lui se mit à raconter sa semaine d’il y a quelques années en Sicile, là-haut sur l’Etna, où il s’était cassé le poignet. On lui avait demandé s’il voulait être opéré en Sicile ou rapatrié à Paris. Il avait cligné de l’œil — pas de doute, mais en Sicile il y retournerait volontiers pour une autre aventure ! 

Elle  regardait sa montre, elle voyait le temps passer, et trouvait qu’il exagérait en parlant ainsi, sans filtre, comme s’il n’était qu’un simple ami et non un médecin chargé de rendez-vous lucratifs. Elle était une patiente qui voulait savoir l’opinion du grand spécialiste.

Mais, à un moment donné, Sylvain, le médecin, devint efficace. En deux ou trois minutes, il prit tout en main et pour ne pas laisser le temps courir, pour en avoir le choer net organisa la fibroscopie dans une clinique privée du 5ème le surlendemain.

« Je ne sais pas comment faire avec les patients, » lui dit-il avant de la quitter, je suis sincère, si on trouve un cancer je vous le dis tout de suite. Vous le saurez tout le suite par ma voix, au réveil. D’accord ? » 

Elle avait dit d’accord, mais sortie du cabinet, elle était perplexe. Ils s’étaient bien entendus, ils avaient beaucoup ri de la banalité de la vie, et étaient tombés d’accord sur le fait qu’il fallait voir les choses en face et avec philosophie. Mais elle était loin d’imaginer que ce discours sur comment vivre une vie, teinté d’ironie, pouvait ouvrir la porte à une possibilité de maladie qui aurait pu changer sa vie. Deux jours plus tard, dans cette même clinique, elle l’avait vu à son réveil: sans aucun professionnalisme, mais avec une bonne dose d’empathie, il lui avait dit qu’il n’y avait aucun cancer. Pas de cancer il lui avait dit ! Elle venait de lui sourire, mais lui ajouta :« Une chose étrange se passe : vous avez un œsophage plus grand que votre estomac. Je n’ai jamais rien vu de pareil ! » 

3 commentaires à propos de “#rectoverso #01 | Paris, la chaleur et les bruits dans la tête”

  1. Ciao Caterina, piacere di ritrovare la tua scrittura tra Palermo e Parigi! In mezzo a situazioni sempre estreme. Grazie