#recto-verso #05 | hameau

La garrigue, les cigales, la peur du feu. Surtout la peur du feu, ma grand-mère s’inquiétant du vent, celui qui attire les pyromanes. Tout rappelle Pagnol. Les vieilles haines entre voisins, pour un lapin disparu pendant la guerre, pour un chemin grignoté à force de ronces à l’abandon, pour un procès perdu sur une servitude de passage. Un hameau isolé du village : quatre maisons encastrées les unes dans les autres au fond d’un vallon, au bord d’une route étroite ne menant nulle part si ce n’est dans la pinède. Quatre familles aux destins divergents, vivotant de la production vivrière sur les restanques s’échelonnant du côté opposé de la route. Quatre familles surveillant les allers et  venues, au courant des petits faits de la vie du hameau, il a mal dormi cette nuit, je l’entendais râler, capable de reconnaître à l’odeur le menu d’à côté. On rentrait chez ma grand-mère par une petite cour cimentée séparée de la route par un muret bas et blanc. Sur la gauche la remise du voisin, forain, sur la droite l’extension de la cuisine avec son grand évier blanc et profond, qu’elle appelait la pile. Au fond la porte donnant sur la maison d’origine : une petite pièce, une table et des chaises toujours encombrées de pots de purée de tomate, de cageots de noix, de vêtements à terminer et de journaux pour emballer le tout. Elle permettait le passage vers la chambre sur l’arrière et un escalier descendant vers la partie de la construction s’ouvrant sur la ruelle inférieure, les enfants dormaient là. Les volets étaient toujours fermés, à cause de la chaleur ou à cause du froid ou à cause des voisins. C’était un tombeau, y aller était une punition. 

La croissance de Marseille a avalé le hameau. La route est toujours étroite, bordée de maisons reparties sur les flancs du vallon. Le passage est impossible pour les camions venant livrer les piscines dans les villas de la pinède. Ils utilisent la nouvelle route des crêtes.      

A propos de Noëlle Baillon-Bachoc

Lectrice compulsive, attirée depuis le plus jeune âge par la littérature de l’imaginaire avec une prédilection pour le fantastique. Je me consacre à présent totalement à l’écriture. J’anime des ateliers d’écriture et des stages dédiées à la littérature de l’imaginaire. Irvi an Amzer, mon premier roman publié est un récit fantastique inspiré de légendes celtes et bretonnes.

2 commentaires à propos de “#recto-verso #05 | hameau”

  1. Merci George pour ta lecture, oui les voisins et les vieilles rancœurs, on pourrait en faire un roman.