Recto
Le fait que son écran affiche dans un carré une phrase étrange vérifiez que vous êtes un humain, le fait qu’elle trouve cette phrase surprenante, le fait qu’elle soit obligée d’accepter de vérifier qu’elle est un humain, le fait qu’elle ne doute pas et n’a jamais douté d’être un humain, le fait que la vérification consiste à voir apparaître une mosaïque de photographie de rues, le fait que la vérification attendue d’elle soit de cocher les photographies où apparait une voiture, le fait que les photographies soient laides et mal cadrées, le fait qu’elle coche les cases sans s’énerver pour en finir plus vite, le fait qu’elle n’a pas que ça à faire, elle a une vie, le fait que c’est une vraie vie qui existe en dehors de cet écran, le fait que maintenant les démarches sont à faire à travers un écran, le fait que pourtant son père avait souscrit un contrat d’obsèque avec accompagnement, le fait que depuis toutes les démarches se font à travers un écran, le fait qu’elle est là toute seule à faire les démarches, le fait que après la mosaïque avec les voitures à cocher c’est une nouvelle mosaïque avec des feux tricolores à cocher, le fait qu’elle n’en peut plus de ces démarches, le fait que ce qu’elle voudrait ce n’est pas de vérifier qu’elle est un humain, le fait que ce qu’elle voudrait c’est que eux le soient encore humains, le fait que ce n’est pas le cas.
Verso
le fait que nous atterrissons à la Guardia à minuit heure de Paris, le fait que l’avion est plein, le fait que la douane est pleine, la douane déborde, les nationaux ont leurs propres files, les visiteurs les leurs, le fait que nous attendons notre tour dans la file qui nous est assignée par un employé de l’aéroport, le fait que notre file ne progresse que très lentement, d’autres semblent plus rapides, le fait que nous sommes là depuis deux heures déjà, nous tombons de sommeil, devant nous une femme téléphone, le fait que il nous semble bien que c’est interdit, le fait que le douanier de notre file ferme son poste car il a terminé son service, le fait que toute notre file est déplacée en bloc derrière une autre file, le fait que devant nous quelqu’un proteste et se fait rabrouer par le policier qui s’assure que les files restent bien alignées, le fait qu’il finit par remarquer la femme qui téléphone et lui dit que c’est un délit, le fait qu’elle s’énerve et demande à voir où c’est écrit que c’est interdit, le fait qu’elle est immédiatement sortie de la file et emmenée dans une pièce où sa valise sera contrôlée, le fait que tous les autres passagers de la file ne disent plus un mot et attendent que cet enfer se termine, le fait que la phrase inscrite devant chaque poste de douane est la même pour expliquer qu’ils sont le dernier rempart contre la barbarie du monde extérieur, le fait que nous ne comprenons pas ce que nous faisons là.