#rectoverso #03 | Mon pays

Il y a mes songes à tire d’ailes

Il y a la clarté du monde

Il y a le soleil couchant qui te nimbe de rose

Il y a les écharpes de brume autour de ton cou

Il y a l’autan dans tes blés d’or

Il y a l’air bleuté de l’automne

Il y a notre charnelle communion

Il y a tes papillons frémissants à l’entour

Il y a tes oiseaux qui se chantent

Il y a le moelleux de tes mûres, l’âpreté de tes prunes

Il y a le rire de notre amour vainqueur.

Il y a le trouble des âmes 

Il y a le charme des choses

Il y a des baisers d’enfants

Il y a le temps qui fait des pauses

Il y a le tremble des amours naissantes

Il y a des joues de soie rose

Il y a l’ivresse des montées, la brisure des retours

Il y a le tressaillement complice du jour

Il y a la fumée des rires adolescents

Il y a la chaleur qui garde les grands dedans

Il y a les interstices où se glisse le bonheur

Il y a l’acuité du chant des cigales

Il y a les parfums du soleil de feu

Il y a le jus des figues mauves

Il y a le royaume de ma jeunesse

Il y a quelque part un coteau, son vieux moulin, ses sortilèges.

Oui, j’ai obéi à l’oncle Charles, j’ai fait mon sac et je suis parti. Il le fallait puisque j’étais banni. Je pensais qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Oui, je te demande pardon. Pas de t’avoir aimée, de t’avoir mise enceinte. Oui, j’étais le père de l’enfant que tu portais. Il était un enfant de l’amour, celui d’un amour pur mais interdit. Oui tu étais et tu es toujours ma cousine germaine. Ça ne se fait pas ces choses-là entre enfants qui ont grandi dans le même foyer. Oui, ta mère était en colère, oui elle en avait le droit. Pour elle c’était un déshonneur. Elle ne voulait pas, elle ne pouvait pas perdre la face. Le qu’en dira-t-on, ta réputation, la famille, les amis, les connaissances. Ton père a toujours fait ce qu’exigeait sa femme. C’était elle qui portait la culotte dans son ménage. Oui, j’avais déshonoré la famille. Je devais t’abandonner pour que notre enfant vive. Oui c’était le mariage de réparation, pas avec moi, avec un autre, ou l’avortement. Pas l’avortement, as-tu murmuré dans tes larmes. Oui, d’accord, je pars. Il y a des oui plaintifs, désespérés, à peine audibles. Mon oui était-il de cette sorte ? Était-ce un oui honteux ? Mes oui ne sont jamais honteux. Quand je dis oui, c’est oui, car je suis un homme qui assume ses actes. Oui, je pars, mais je suis le père de ton enfant, quoi qu’en disent tes parents, c’est ainsi. Oui un jour je reviendrai, je rentrerai au pays. Oui je te dis oui, comme tu m’as dit oui, ce jour-là, dans l’herbe, derrière le vieux moulin du coteau. Y avait-il un non dans ton oui ? Oui, c’est beau l’Amérique, j’y ai fait mon trou, j’y ai un travail, des amis aussi. Des femmes ? Oui, des femmes aussi, mais pas d’amante, car tu es celle que je nomme en secret « mon amante », dans mon cœur, dans ma chair, dans mes rêves d’avenir. Tu m’as dit oui à l’aube de tes quinze ans. Un oui pareil, ce n’est pas rien, c’est tout.  Ce n’est pas une fin mais un commencement. Ton oui, qui fit tressaillir ma chair, a ébranlé mon âme. Elle sonne différemment depuis. Je l’entends en majeur lorsque je suis gai, en mineur si le désespoir vient à me submerger. Oui, la vérité sera dite, oui notre fils a le droit de connaître son père. Oui je veux embrasser notre enfant. Oui j’ignore ce qu’il va arriver. Oui, je dis oui à tout ce que tu voudras.

Oui, je rentre au pays, car tu es mon pays.

A propos de Emilie Kah

Après un parcours riche et dense, je jouis de ma retraite dans une propriété familiale non loin de Moissac (82). Mon compagnonnage avec la lecture et l’écriture est ancien. J’anime des ateliers d’écriture (Elisabeth Bing). Je pratique la lecture à voix haute, je chante aussi accompagnée par mon orgue de barbarie. Je suis auteur de neuf livres, tous à compte d’éditeur : un livre sur les paysages et la gastronomie du Lot et Garonne, six romans, un recueil de nouvelles érotiques, un récit hommage aux combattants d’Indochine.

2 commentaires à propos de “#rectoverso #03 | Mon pays”

  1. Merci de m’avoir lue, Ugo et d’avoir apprécié ma petite contribution. J’ai le sentiment d’être très scolaire. Je cherche à répondre aussi précisément que possible à la proposition de François. J’admire ceux qui, comme vous, s’en écartent pour de belles envolées solitaires.