#rectoverso #05 | Y a eu des fuites

C’est un plafond…un banal plafond de cuisine comme on en trouve partout, un décor de cuisine que l’on voit à peine car on ne regarde jamais en l’air lorsque l’on mange. Aussi trivial que ca puisse paraître, le seul plafond que l’on regarde c’est celui de la chambre. Alors pourquoi s’intéresser à un plafond d’une pièce, qui n’est même pas considérée comme une pièce à vivre par les agents immobiliers? C’est pourtant un lieu essentiel au réconfort et à la convivialité. Mon plafond de cuisine n’a rien d’extraordinaire…Il ne ressemble en rien au plafond de la Chapelle Sixtine. Il est blanc, recouvert d’un monochrome blanc mat de chez Dulux Valentine…c’est mieux pour l’entretien et pour masquer les défauts. Et puis ça agrandit la pièce… A grands coups de rouleau croisés, il a été recouvert d’une texture séchant en moins de deux heures même s’il faut attendre douze heures supplémentaires pour passer la deuxième couche. Après ces soins de conservation, on le masque en partie avec des éléments hauts de buffet, une hotte aspirante, et chez moi, on lui a rajouté l’habillage d’une cheminée d’un four à pain. Puis on le perce encore d’éléments d’éclairage pour lui donner un aspect moderne…plafond blanc immaculé et spots intégrés avec ampules LED…un must de plafond contemporain sans oublier bien sûr, la grille d’extraction d’air de la VMC. Malgré toutes ces atteintes portées à son intégrité, on se doit d’avoir un plafond impeccable. Le seul désordre que l’on tolère est la toile d’araignée dans un coin, discrète, que l’on aperçoit par hasard, et dont on se débarrasse d’un preste coup de balai. Peu importe l’utilité de cet insecte, une toile d’araignée, ce n’est jamais propre.

J’ai dû m’absenter de longs mois. Portes et volets fermés, j’ai caché cette blancheur aux yeux de tous, du moins à ceux qui prenaient la peine de regarder en l’air. A mon retour, tout à ma tâche d’aérer en grand mon modeste logis pour mieux l’épousseter ensuite, je n’ai pas vu immédiatement l’outrage porté à ce plafond dont je suis fier et qui m’a coûté tant d’efforts. Avec horreur, j’apercois à proximité du conduit de cheminée du four à pain, des taches marron se déclinant en touches de camaieu, aux contours indéfinis, progressant crânement vers une fissure qui traversait de part en part, en son milieu, le plafond de la cuisine. Une des ces taches, bien rondes, semble avoir été faite par un ballon ou une montgolfière que l’on aurait projeté au plafond. Qui a osé? Une autre fissure partant du haut de la cheminée, serpente entre les spots, sans entrave, le long de cet édifice aérien, poussant la coquetterie, à se séparer en plusieurs branches, comme le ferait un réseau routier. Sur le parcours de ces fissures, ajoutant des rides à cette surface si bien tendue, des cloques se ferment, déliant l’unité d’une peinture garantie 5 ans par le fabricant, qui nous avait pourtant assuré, que le pouvoir couvrant et l’homogèneité du produit, resteraient intacts, même après un bon lessivage. Il n’a pas fallu longtemps pour découvrir la cause de ce désastre…C’etait la pluie qui s’était insinuée entre deux tuiles, faufilée entre les liteaux de la toiture, en sapant à la base, le solin de la cheminée du four, pour ensuite se déverser goutte à goutte sur le dos du plafond de la cuisine, s’étirant langoureusement sur toute la surface, pour mieux la creuser et la défigurer. Sur le carrelage de la cuisine, aucune trace de ce forfait, qui avait déjà bien rongé, ce plafond dont j’étais fier.

A propos de Laurent Damerval

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6 commentaires à propos de “#rectoverso #05 | Y a eu des fuites”

  1. « l’outrage porté à ce plafond dont je suis fier et qui m’a coûté tant d’efforts. » je frémis à cette phrase, (l’emprise est là). Merci pour le texte

  2. Votre texte me touche. Entre le soin accordé au décor quotidien qui devient précieux plus que nécessaire et l’imprévisible mais fréquent dégât des eaux, c’est du lot commun à beaucoup d’entre nous dont on est question…
    Merci . Et puis votre écriture est aussi fine que la méticulosité accordée au lieu

  3. Merci pour ce plafond à la fois désuet, vintage, une simplicité où l’on peut se reconnaître.