#rectoverso #07 | Glaneur de nuages

Le fait que ce jour de mars 2025, le coucher de soleil est prometteur, le fait qu’il est d’un dégradé d’orangé et rose, des traces carmin, le tout parsemé de lignes jaunes scintillantes, le fait que petit à petit, sans crier gare, l’équilibre se rompt, le fait que le majestueux coucher de soleil se laisse gagner par un nuage monstrueux, volcanique, telle une coulée de lave, le fait qu’apparaît un nuage-diplodocus formé d’écailles, le fait qu’à vue d’œil grossissent les écailles, le fait qu’elles envahissent l’espace, le fait que se forme une tête allongée à l’avant de la masse nuageuse difforme, le fait que se multiplient les écailles, encore et toujours, le fait que se lèvent des bras, le fait que se teintent de beige les couleurs chaudes des nuages, le fait que virent les couleurs, le fait qu’elle se colorent de marron, le fait que virent au cuivre, les rouges et orangés, le fait qu’elles deviennent caramel et brun, le fait que des touches de noir envahissent les bruns, le fait que se rompent, se cassent les couleurs de coucher de soleil, le fait que s’atténuent les tons chauds, le fait que foncent les rouges, le fait que de plus en plus les noirs aparaissent, le fait que de brun et noir se colorent les nuages de début de nuit, le fait que deux petits nuages blanc-gris-orangé tentent de résister un court instant avant de s’éteindre, le fait qu’on s’interroge, auront-ils la force de revenir demain ? Revenir pour accomplir leur mission de petits nuages gris-blanc ; celle de prendre à l’heure du coucher du soleil de subtiles couleurs chaudes de gris colorés ; celle de donner un peu de résistance et de poésie à ce monde en péril. Le fait que ce soir le spectacle du ciel de nuit est à l’image du monde, il n’est que camaïeu de brun, du plus léger au presque noir.

Le fait qu’à partir de 1916, le néerlandais Antoine Johannes Aalders travaille comme bénévole pour le Royal Netherlands Institute en tant que météorologue amateur. Le fait qu’Aalders et sa femme sont fascinés par la tempête sous toutes ses formes, ainsi que par l’observation des nuages. Le fait qu’Aalders est devenu invalide en 1925 en raison d’une maladie chronique, le fait que sur les conseils de la météorologiste néerlandaise Ewoud van Everdingen, il a mis en place un observatoire sur le toit de sa maison pour photographier et étudier les nuages, le tonnerre et la foudre. Le fait que de 1917 à 1955, Aalders produit plus de 10 000 photos de nuages, initialement en noir et après 1945 principalement en couleur. Le fait que pour chaque photo, il a enregistré l’heure, la date, la direction du vent, le mouvement des nuages et les conditions météorologiques. Le fait que ses photos sont très précieuses afin d’établir des relations entre météorologie et formes des nuages. Le fait qu’Aalders est connu dans les milieux internationaux, notamment en raison de sa contribution à l’Atlas international du nuage publié par l’Organisation météorologique mondiale. Le fait qu’à sa mort en 1955, sa veuve a fait don de sa vaste collection de négatifs et de photos à la bibliothèque du Royal Meteorological Institute. Le fait que cette collection se compose de négatifs et photos soigneusement assemblés et méticuleusement documentés dans des piles de carnets.

Le fait qu’en 2018, le CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux présente une exposition intitulée 4543 milliards, sous-titrée la question de la matière interroge le rapport entre l’histoire d’une œuvre et les grands récits de la Terre. Le fait qu’une salle est consacrée aux nuages d’Antoine J. Aalders, 1890-1955. Le fait qu’au CAPC, ses accumulations d’albums et de boîtes de stockage de photos sont exposées dans des tables-vitrines. Le fait que cette accumulation de nuages m’a hypnotisée ! Le fait que je me souviens être retournée à plusieurs reprises au musée pour visiter cette salle. Le fait qu’à cette occasion j’ai pris conscience de la grande poésie de l’accumulation, de mon émerveillement pour ce travail à la fois artistique, poétique et scientifique. Le fait que ce jour-là, dans mon carnet j’ai écrit : vu Aalders au CAPC, à engager de mon côté un travail sur les nuages.

A propos de Isabelle Vauquois

Vit à Mérignac, à deux pas de Bordeaux. Lieux d'inspiration : Vallée de la Vézère, Bayonne, Bordeaux, l'Adour et la Garonne, la côte sud landaise. Depuis 2018, découvre l’écriture avec les ateliers de Claire Lecoeur. Première expérience Tiers livre en 2023 avec "le Grand carnet". Plus j'apprends à écrire, plus j'apprends à lire ! Un projet en cours sur les nuages, l'atelier Recto-verso et l'énergie collective, boostant pour avancer.. .

4 commentaires à propos de “#rectoverso #07 | Glaneur de nuages”

  1. Quelles belles descriptions de tous ces nuages ! C’est la partie rêveries. Et l’apport d’un contexte historique nous ramène me renvoie au livre de Hélène Gaudy : Un monde sans rivage (elle ne traite pas des nuages mais de la banquise, néanmoins je fais le parallèle). C’est la partie scientifique qui ouvre aussi des champs infinis.

  2. je te retrouve bien là, Isabelle, dans ces décors de ciel que tu aimes tant et que tu photographies toi aussi souvent…
    de mon côté je guette souvent les nuages comme des promesses de beauté et aussi de pluie !