RECTO
Le tram laisse sortir les voyageurs devant une galerie commerciale en drôle de dôme. Un couloir couvert, à peine, commencé par une maison de la presse à gauche. En avançant, à droite, une inscription « Croc épic » et au bout de cet à-peine-couloir – « Wazabi » – au dessus d’une porte ouverte d’où parvient une odeur de cuisine. Derrière, en face, pas trop loin, une mairie rectangle, comme un écran de cinéma géant prêt à vous tomber sur la gueule, elle fait face au drôle de Dôme. On n’y comprend rien. La mairie écrase l’homme qui marche dans son vêtement orange fluo. Vertige de l’architecture urbaine pour qui déboule ici la première fois. Un adolescent traverse l’à-peine-couloir galerie marchande les deux bras tendus sur le guidon de son vélo chopper bricolé, chromé à la bombe de peinture argent et or. Il file vers l’espace ouvert, immense, laissé vide pour le marché du lendemain indique le panneau « interdit de stationner les dimanches ». Une famille traverse le couloir chargé de sac en plastique Carrefour débordant de courses et bifurque vers le seule chose qui semble respirer ici à part les êtres humains, un cèdre. Il est grand, multi-centenaire, au coin du bâtiment mairie, en face de la galerie, à l’angle de l’étendu de bitume place parking. Le soleil est fort, la famille marche vers le cèdre et s’assied à l’ombre sur le rebord du muret après cette traversée en terrain découvert. L’étendu minéral gondole l’air à sa surface, le parking chauffe à blanc.
Le trottoir avant la route qui coupe l’accès à la mairie. Des plots gris à hauteur de bassin de la policière qui jongle avec le ballon. Quatre adolescents ou enfants, tout proche de la jongleuse, la regardent, peu concernés, désinvoltes. La balle roule jusqu’au pied du jeune homme, qui la reprend, jongle l’air de rien, comme une danse mondaine, sans engagement. La balle roule jusqu’à la policière. Elle prend le ballon sur le dessus de son pied, et commence consciencieusement une série de 10 jongles, en serrant sa radio d’une main et de l’autre sa bombe lacrymogène accrochées à son gilet-pare balle, sur ses hanches les menottes et le revolver la lestent. La balle roule à nouveau vers le groupe, un autre jeune homme arrive et commence à jongler sans discontinuer presque dos à la femme au revolver et uniforme, la balle tombe quand il le décide et il s’en va. Le policier, lui, se contente de regarder, dire quelques mots, qu’il semble soupeser avant de les lâcher avec une désinvolture feinte. Il répondent en regardant ailleurs.
La veille au même endroit, le collectif des mineurs isolés avait déplié une petite tente de stand de kermesse. Ils avaient passer la journée là. Sur une pancarte à terre était lisible : « Pour que nous ne soyons plus invisibles, venez nous… ».
Derrière, un peu plus loin, entre le grand cèdre et les jets d’eau où jouent des enfants qui crient, une femme esquisse quelques pas de flamenco, avant de courir rejoindre un groupe d’amies.
VERSO
Sous le cèdre, il s’est approché du musicien, il a le bras droit en écharpe. C’est l’après-midi, il est 14h, on entend les cris des enfants dans les jets de la fontaine. Il regarde l’homme brancher les câbles à sa guitare, il lui parle. Puis il va s’asseoir, à coté des autres qui se sont réfugiés sur le muret sous le grand cèdre. Une danseuse s’approche de lui. Elle engage la conversation. Il fronce les sourcils, attentif, et sourit. Une dame italienne à côté de lui s’est penché pour écouter la danseuse. Il dit « oui je ne sais pas mais je crois que ça me parle ce que vous me dites », il cherche les mots. Les autres en enfilade écoutent distraitement. «On m’a greffé la cornet de l’oeil droit. Je ne pourrais plus voir sans ce don. Tout ce que nous sommes et qui n’est pas nous, tout ce que nous vivons et qui n’est pas que nous, je crois que nous oublions que nous vivons d’abord par le commun. Je le porte en moi, alors je le sais. » la danseuse sourit. La Nonna italienne fait la moue pour approuver, elle sourit. Des cris devant la mairie, deux policiers passent en courant, et les enfants sur le trottoir au loin rit de les voir en sportif alourdit, ils rient, spectateurs soudain d’un spectacle de guignol.
« je suis du sud de l’Italie, les Pouilles. C’est une chance d’avoir vécu la pauvreté. Mes petits enfants s’étonnent que je mange la soupe froide. J’ai été élevé comme ça. Pourquoi leur père ne leur raconte pas cette histoire. Je crois qu’il a honte. La pudeur peut-être. C’est dommage. Est-ce que je peux vous prendre dans mes bras. » La danseuse hoche la tête, la femme se lève et l’enlace.
Le musicien essaye les premiers accords, la musique s’arrête aussitôt, un problème électrique ? « oh fuck, c’est tarpin chiant, ça m’angoisse ces problèmes de sons ». Le musicien enlève sa casquette, essuie son front. Il cherche d’un regard perdu sur la place immense la solution à la musique qui s’est tue.
merci, parfaite entrée en scène ! (pas hésiter donner titre spécifique)
Ah ah Micha! merci pour ce texte où je ne m’attendais pas à retrouver des bribes d' »Assemblée »!