#rectoverso #10 I une place

Soufflée, emmitouflée, du temps de l’espace sans jalons

perdue dans le loin de la ville aux écrits indéchiffrables, l’impossible repérage, la recherche avec la crainte de ne pas trouver. Elle a peu de temps. Le nom des temples figure en kandji dans le guide américain qu’au retour elle traduit en français et propose à Actes Sud lors d’une étrange conversation sans suite. Sur les ourlets de ville qu’elle gagne en bus depuis la gare centrale, personne ne parle anglais. Même petits, les caractères aident. Elle trouve.

A presque 3000 mètres, le replat rappé sous un couvercle d’air pâle offre son bruit blanc où tenter de revoir. Où laisser se décoller les moments dont le temps a fait une lasagne. Par endroit une bouillie.

Elle ira voir le Pavillon d’or et le Pavillon d’argent, le Rioan-ji, le Temple des mousses en prenant un taxi. Et ceux de l’autre liste surtout, établie par un couple de paysagistes-photographes rencontrés avant le départ. Ils sont restés étudier plusieurs mois. De petits jardins nichés dans des temples peu connus, dont ils ont repéré un rythme dans le cheminement d’entrée, le dessin de la bordure en bambou d’une allée, la reprise moderne d’un pavage ancien. Elle a tout noté entre les illustrations, les noms et les marges.

L’appel empêché de l’image. Un câble rompu sans éclat. L’insistance, et l’image de nouveau interceptée par la sensation des pieds déchaussés sur le sol de la galerie. Un enfant qui se démène pour être devant, interdire le passage aux autres, contrer l’arrivée de l’image. Le silence des pierres et du sable se faufile

troue la nuée de collégiens japonais, marines et blancs, en promenade scolaire.

La chaleur du bois en lames longues, sous les pieds, au dos.

Les collégiens repartent d’un même envol. Le silence plus fort.

Apprivoiser l’image par un cadre. La cerner entre la galerie en L et le mur du fond, qu’elle n’ait plus qu’à apparaître à son gré.

reste longtemps sur les marches. Ni la faim, ni la fatigue. Elle regarde, de cela elle est certaine. Elle doit même repérer, mesurer, comparer, on le lui a appris. Dessiner les détails, les politesses entre matériaux, les rythmes des joints, l’étirement des ombres.

Des teintes sans contours sortent de l’anthracite de l’oubli.

Sur le mur surmonté par les pins, des veinules sans époques ni matière à cette distance, de l’autre côté du sable et des pierres, dans des caresses de teintes sans échelle.

qu’un carnet pourrait redonner. Qui remettrait l’œil en action.

Mais s’invite une douceur infinie qui nappe les alpages.

Insaisissable au seul regard. La douceur d’une conque à la mesure du corps et de l’âme

quelque part des mots, des noms de lieux, d’artistes, de commanditaires, d’époques, de matières. Encore un instant, sans eux, dans le brouillard du col, laisser effuser la sensation d’une place, d’un accueil.

A propos de Anne D

Arrivée en écriture par le paysage et l’architecture, Anne D ouvre les ateliers de Lignes vives aux marcheurs, aux soignants, aux cabossés de tout marteau, avec lesquels elle partage ses nages en littérature pour soutenir des regards singuliers et aviver une écriture sur place et à emporter, celle des autres et la sienne.

4 commentaires à propos de “#rectoverso #10 I une place”

  1. on se laisse pénétrer peu à peu, plutôt dépaysé
    on est comme en voyage
    on finit par percevoir les lignes, les détails, les pins et « l’étirement des ombres »
    merci Anne pour « cet espace perdu loin de la ville aux écrits indéchiffrables »

    • Bonjour Françoise, je m’aperçois avec trop grand délai que je n’ai pas répondu à cette lecture. Merci, lectrice comme en voyage !

  2. Laisser effuser la sensation d une place, d un accueil..

    Survol attentif sur ces hauteurs, dans les nuances des anthracites, a travers les troués, et tant mieux, sans les traits appris.