La photo la plus chère du monde, minimaliste, neutre, frontale, faite de bandes parallèles grises et vertes. Grise le ciel, verte la berge, grise le fleuve, verte la berge rehaussée d’un liseré brun, grise le chemin sur la berge, verte la berge au-delà du chemin. Une sensation de naturel, du naturel modelé par la main de l’homme ; une sensation d’intemporel et d’insituable, mais profondément européen, ce pourrait être le Rhône aussi, le canalisé et plat des eaux enfermées, mais trop étroit pour un fleuve du ouveau monde. Elle respire le calme et la puissance et en impose par ses dimensions. Une attente, une prouesse.
La prouesse, c’est ce que la photo ne montre pas, tout ce qui a été artificiellement effacé : les pilones électriques, les bâtiments industriels, un homme qui promenait son chien, le bleu du ciel et les nuages, une montagne à l’horizon. L’attente, un monde idéal débarrassé de la contingence. C’est une image, je fais ce que je veux dit l’artiste. Après tout pourquoi pas ?
Maintenant à chaque image, on doute. Dessin, Peinture, peinture d’après photo, photographie, photographie retouchée, image créée par intelligence artificielle. Plus de matière, plus d’indication pour se repérer. C’est un problème de regardeur. Mais si l’on pense à celui qui crée des images parce que c’est là qu’il se sent le mieux. Qui se demande comment se renouveler, comment faire autre chose, comment créer du nouveau sans trahir on ne sait quoi qu’il appelle son inspiration et son éthique.
Dans le flot des images, comment se renouveler ? Gertrude Stein qui connaissait bien les peintres s’imaginait combien cela devait être difficile en ayant toujours ses propres créations sous les yeux. L’écrivain disait-elle n’ a pas toujours ses textes en mémoire, mais le peintre dans son atelier toujours ses toiles.
Ce peintre que j’aime était en résidence dans un lieu splendide, une vigie au-dessus de la Saône qui donne de Lyon une image inhabituelle, une autre perspective. Je visite l’exposition de sortie de résidence et je suis déçue. Petits formats si proches du réel que la fondation propose pour les enfants un parcours de géolocalisation des endroits où chaque tableau a été peint. Un seul essai de transformation du regard : le tableau un peu plus grand qui mêle la vision des deux rives de la Saône. Quelque chose d’inabouti, comme si le peintre n’avait pas osé affirmer la prééminence de la vision du fort d’en face massif;
Petits formats, réalisme, résidence. Est-ce à cela qu’est réduit l’artiste amoureux des grands formats associés en polyptyque ? Comment vit-on de la peinture aujourd’hui ? Qu’est-ce qui se vend et sous quelle forme ? Reproduction digitale des œuvres peintes, livres, formats adaptés aux tailles des appartements. On consomme de l’image, beaucoup; on la paye rarement.
Merci Danièle, j’ai beaucoup aimé vous lire. Et comment gagner sa vie quand on fait profession d’artiste ?
merci Emilie. Ce post sur mon blog t’interessera peut-être aussi https://www.lesmotsjustes.org/post/j%C3%A9r%C3%A9my-liron-au-fort-de-vaise
je suis rentrée dans une phase exploration des arts visuels.
Eh oui Danièle, subtils repérages des nuances du brun au vert, un écho qui fait revenir vers Gertrude Stein et pourtant à l’arrivée on est déçue et on ose le dire…
Rétroliens : #rectoverso #10 | ces chemins qu’on emprunte – le Tiers Livre | écrire, publier, explorer
Étonnante chute qui avance dans le texte, avec toute cette réflexion sur l’art, très fondée. On passe d’un sommet artistique (semble t-il) à presque rien (« Petits formats, réalisme, résidence »), et je te suis très bien… Merci pour ce texte
Merci.