#rectoverso #12 | indécidable

La Démolition de l’ancien émissaire des eaux usées de la Rocasse est en cours.Composé d’amiante-ciment, et situé au droit de la promenade Salembier, cet ouvrage n’était plus utilisé depuis de nombreuses années, et impactait la vue sur ce site pittoresque et remarquable.

Comme les fractales mesurent le trait de côte en le dépliant, la lecture de l’entrefilet – à écrire le mot qui s’invite, sa disparition saute aux yeux, un entrefilet du Monde, je me rappelle maintenant, c’était dans un entrefilet… – ouvre à elle seule plusieurs pistes. Qui, ce Salembier ? Un maire, un marin héroique, un entrepreneur, un cousin du baron d’Empire qui monopolise les feux? Il faudra muscler quête et requêtes quand n’apparaît au tamis grossier que Monsieur Louis Salembien (66190) : siret, siren, TVA, adresse.

 
Reprendre continuer. Ce n’est pas la bonne démolition. Mais le nom, Salembier, ouvre. Ouvre la démolition suivante, celle de la promenade elle-même. Pour des raisons évidentes de sécurité la ville de Collioure procède à la démolition de la «  promenade Salembier ». Facebook montre sous les façades de la Rocasse les rets dans lesquels se nouent râleries sur l’argent public, promenade merveilleuse tant de fois empruntée, les enfin ! et le rappel des nombreux accidents, mortels trop souvent.

Irrite les yeux les doigts une impatience. Surgit une voix. Et tu vas en faire quoi de toutes ces petites déconstructions ? Ne pas entendre, ne pas répondre, ne jamais répondre à la voix en tu qui escamote la page le temps d’un battement de cil. Reprendre. Motsclés alignés. Collioure. La Rocasse. La promenade. Les accidents nombreux.

La promenade existe sûrement quand Claude Simon vient à Collioure dans les années 30. Sans nom, sans rambarde aux passages les plus vertigineux – le règne des normes est encore à venir –, le ruban minéral s’échappe de la plage et de la chapelle Saint Vincent conseillées aux visiteurs après leur halte à l’église. La Rocasse domine la plage. L’écrivain et sa femme la connaissent, passent au pied, filent vers la calanque de l’ouille – s’y baigner seuls – , remontent sur la lande glabre par tramontane, et reviennent au village en contournant le terrain militaire. Claude Simon regarde les entrainements militaires au fort du Miradou, la tyrolienne qu’il faut lâcher au coup de sifflet pour se retrouver dans l’eau et non propulsé sur un rocher – l’armée aurait droit à un quota d’accidents – , il regarde ça d’une façon…

Rugissement de la voix en tu. Mais qu’est-ce que tu racontes ?  

Mireille Calle-Gruber évoque les séjours de Claude Simon et de Renée à Collioure tout près de la guerre d’Espagne, entre 1933 et 43. Ils louent une maison sous le Miradou. Simon photographie les pêcheurs. « Son souci c’est le détail, que l’on puisse sentir la pierre ou la fluidité de l’eau sur la plage, les rainures dans le sable, donc il n’y pas beaucoup de contraste mais de nombreuses nuances de gris .

Ne pas répondre, mais comment écrire sans bibliothèque, loin des Pyrénées Orientales, – de l’autre côté de l’Aude en feu – par bribes retirées des griffes de chats qui rôdent, demandent, suggèrent, proposent ?


La relecture des mots-clés révèle un Mistigri qui brille par son absence. L’absence des livres et documents aura ce mérite, arrimer ses 7 lettres à la page : suicide.

L’acte de vente remonte à 1753, attestant l’acquisition de cette bâtisse par le Brigadier Général de La Houlière, Gouverneur du Fort de Salses. Le suicide de cet ancêtre suite à la défaite contre les Espagnols hante le récit de La Route des Flandres (1960), constituant comme la matrice de tant d’autres actes suicidaires ou imaginés tels.

Je m’égare, on est à Salses, à l’achat de la maison de la place du commandant Fernand Puig qu’une visite virtuelle permet de parcourir depuis 2021 (https://patrimoines.laregion.fr/actualites/Visites%20virtuelles). Égarement ou progression ? Comme dans l’avalanche, c’est indécidable. Mais le passage de la Salanque, de l’étang de Salses à la côte Vermeille, propose un mince point d’appui. Simon ne revient plus à Collioure après le suicide de sa femme en 1944, autour duquel se maintient un respectueux silence. La famille de la narratrice cultive des vignes dans cette plaine-là, se retrouve à l’étang le dimanche manger la bouillabaisse d’anguilles dans un casot de pêcheurs. A Collioure, une femme silence arpente la terrasse et le jardin de la Rocasse, robe longue au-dessus de la mer, au-dessus de la mer. Elle lit. A la boulangerie, on a parlé d’un suicide dans une autre propriété de la famille.

Vertige, chante Bashung. Reprendre. Continuer.

[Une enquête décidera ultérieurement d’un recto et d’un verso, ou d’une absence de]

A propos de Anne D

Arrivée en écriture par le paysage et l’architecture, Anne D ouvre les ateliers de Lignes vives aux marcheurs, aux soignants, aux cabossés de tout marteau, avec lesquels elle partage ses nages en littérature pour soutenir des regards singuliers et aviver une écriture sur place et à emporter, celle des autres et la sienne.

4 commentaires à propos de “#rectoverso #12 | indécidable”

  1. Oh, j’ai beaucoup aimé, lu d’un trait et d’une lecture haletante… Le premier paysage était chaotique et en même temps m’a donné envie d’en suivre l’exploration… Et j’ai trouvé quelque chose de tellement vivant… Jusqu’au vivant d’hier de Claude Simon !… merci !

  2. Enquête passionnante jusque dans ses manques et ses digressions… Serais heureuse de lire la suite !