#rectoverso #12 | Nuage, c’est reparti !

repartir de fragments déjà écrits, certains publiés ici, pour grâce à cette proposition 12, avancer

En 2018, le CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux présente une exposition intitulée 4543 milliards, sous-titrée la question de la matière interroge le rapport entre l’histoire d’une œuvre et les grands récits de la Terre. Une salle est consacrée aux photographies de nuages d’Antoine J. Aalders, 1890-1955. Ses accumulations d’albums et de boîtes de stockage de photos sont exposées dans des tables-vitrines. Cette accumulation de nuages m’a hypnotisée ! A plusieurs reprises je suis allée au musée, visiter cette salle. A cette occasion j’ai pris conscience de la grande poésie de l’accumulation, de mon émerveillement pour ce travail à la fois artistique, poétique et scientifique.

En sortant du musée, j’ai commencé un travail sur les nuages. Dans un carnet de croquis format A4, un zap-book (j’aime ce type de carnet aux pages fines qui gondolent sous l’effet des papiers collés et des pages peintes ; j’aime le voir doubler ou tripler d’épaisseur au fur et à mesure de l’ajout de documents, le sentir, palper et tourner les pages), j’ai collé des photos de nuages, quelques textes extraits d’ouvrages empruntés à la bibliothèque, des photos de tableaux de ciel de Boudin, Constable, Monet, le nuage rouge de Mondrian. Sur une vingtaine de pages et puis plus rien.

Il y a quelques jours, tel un flash, le travail de 2018 m’est revenu en mémoire. J’ouvre le zap-book, retrouve avec la même émotion les photos et les quelques notes. Dans une marge, une note : vu Aalders au CAPC, à engager de mon côté une démarche sur les nuages. Je relis un texte écrit après la visite de l’expo du CAPC.

A partir de 1916, le néerlandais Antoine Johannes Aalders travaille comme bénévole pour le Royal Netherlands Institute en tant que météorologue amateur. Lui et sa femme sont fascinés par la tempête sous toutes ses formes, et par l’observation des nuages. Aalders devenu invalide en 1925 met en place un observatoire sur le toit de sa maison pour photographier et étudier les nuages, le tonnerre et la foudre. De 1917 à 1955, il produit plus de 10 000 photos de nuages, initialement en noir et après 1945 principalement en couleur. Pour chaque photo, il enregistre l’heure, la date, la direction du vent, le mouvement des nuages et les conditions météorologiques. Aalders est connu dans les milieux internationaux, notamment en raison de sa contribution à l’Atlas international du nuage publié par l’Organisation météorologique mondiale. A sa mort en 1955, sa veuve fait don de sa vaste collection de négatifs et de photos à la bibliothèque du Royal Meteorological Institute.

Avec un pinceau trempé dans l’acrylique bleu, dans le zap-book, j’écris Nuage, c’est reparti – août 2025.

Poursuivre ce projet, photographier, rechercher de la documentation, lire des livres et articles. Prendre des notes. En parallèle amorcer l’écriture d’un texte. Quel forme va-t-il prendre ? Celui d’un Nuage, c’est reparti journal de voyage à travers les ciels et les sources littéraires et artistiques ? J’aime l’idée d’un vaste capharnaüm, de fragments, sensations… Vagabonder d’une étape à l’autre, chacune s’enrichissant, et s’émerveiller des trouvailles et des avancées… Comment trouver les mots pour dire ce qui me touche, les sensations éprouvées en admirant les nuages et les instants fugaces qui me font vibrer. Comme souvent, la lecture du moment est source d’inspiration. Je recopie dans mon journal d’écriture ces lignes extraites de Tiroir central * de l’artiste écrivaine Sophie Coiffier en écho à mon projet :
Vous rêvez ?
Vous regardez par la fenêtre et ce que vous voyez, au fond, vous n’avez rien à en dire. Tout semble avoir été dit, déjà, avec des mots qui ne vous appartiennent pas. (…)
Et si on repartait de zéro ? Si on inventait la langue pour raconter à nouveau ce que l’on voit avant qu’on nous le dise ? Et si pour faire cela, il fallait réapprendre à voir ?

En lisant ces mots de Sophie Coiffier, me remémorer un moment vécu en mai dernier. Depuis ma voiture sur l’autoroute qui me conduit aux Eyzies, la capitale mondiale de la Préhistoire, j’observe les nuages. Impossible de photographier. Alors garder ce moment en mémoire, pour plus tard écrire. Météo changeante en ce mois de mai bizarre. Pluie, soleil pointant entre les nuages. Nuages chassés par le vent. Certains disparaissent, d’autres se forment. J’ai lu que la durée de vie d’un cumulus est de cinq à quarante minutes. Feu d’artifice de formes et de couleurs. Des camaïeux de gris et de blancs, si on regarde vite. Des gris colorés, de subtils tons roses et orangés, légèrement bleutés, si on prend le temps de l’observation.
Soudain apparaît un éléphant. Avec sa trompe, il avale un petit cumulus. Deux caniches vus de dos observent la bande de ciel bleu qui se faufile au-dessus de la masse de nuages blancs et gris. Plus on se rapproche de la Vallée de l’Homme, plus les animaux prennent des formes étranges. Les corps s’allongent, se déforment, les pattes s’effilent. Je n’en crois pas mes yeux. Le grand cheval, chef-d’œuvre de la grotte de Lascaux apparaît face à moi. Est-ce qu’il m’interpelle ? veut-il me transmettre un message ? Un peu plus loin, le taureau de Lascaux, des rennes, des bisons, tous présents dans la grotte. Ils s’enchevêtrent, se chevauchent, vont vers la droite, la gauche, dansent, volent, nagent, courent, s’allongent, une vraie valse. Un spectacle du ciel digne des tableaux de l’art pariétal du paléolithique. Quel spectacle ! Quelle émotion ! Je les reçois comme un signe de salutation envoyé par les femmes et les hommes de Cro-Magnon alors que je ne suis plus qu’à quelques kilomètres des Eyzies !

* Tiroir central de Sophie Coiffier – Editions de l’Attente – 2021

A propos de Isabelle Vauquois

Vit à Mérignac, à deux pas de Bordeaux. Lieux d'inspiration : Vallée de la Vézère, Bayonne, Bordeaux, l'Adour et la Garonne, la côte sud landaise. Depuis 2018, découvre l’écriture avec les ateliers de Claire Lecoeur. Première expérience Tiers livre en 2023 avec "le Grand carnet". Plus j'apprends à écrire, plus j'apprends à lire ! Un projet en cours sur les nuages, l'atelier Recto-verso et l'énergie collective, boostant pour avancer.. .

18 commentaires à propos de “#rectoverso #12 | Nuage, c’est reparti !”

  1. Merci, Isabelle, pour ce beau travail sur les nuages. En vous lisant, on s’instruit, on s’étonne et on rêve avec vous.

  2. ah comme j’aime cette description des nuages qui se transforment, qui semblent dire quelque chose à celui ou celle qui capte l’image, la forme tellement furtive… je  » joue » souvent à cette  » connexion » !! merci et que ces nuages te portent pour ton écriture à venir.

  3. Te suivre dans ton exploration dans le présent de la recherche : documention et émotion pure ; merci de me faire découvrir Antoine Johannes Aalders; merci pour cette valse chevauchée de nuages

  4. L’une des grandes forces de cet atelier, c’est de nous permettre de revenir à des projets qui nous tiennent à cœur mais qu’on n’arrive plus à faire avancer. Merci pour ce beau texte, où la contemplation des nuages mène de la rêverie à l’écriture. Et il y a,ce zap-book dont on aimerait pouvoir tourner les pages !

  5. Merci pour ce voyage avec tes nuages entre l’expo, ton cahier (super la photo), tes mots et la poésie qui s’en dégage, et complètement en accord avec la beauté de ce sujet. Belle continuation la tête dans le ciel.

  6. Fabuleux projet ! Je ne savais qu’il existait un Atlas international du nuage… J’adore cette histoire de nuages animaux, de l’éléphant qui avale un petit cumulus, j’irai lire ta #13 dès que j’aurai avancé dans la mienne. En tout cas, bravo !

  7. Bonjour Isabelle, je découvre vos contributions (j’irai en commenter quelques autres) et votre travail sur les nuages, c’est passionnant.
    Je me suis souvent demandée si les anciens Celtes avaient développé une mythologie, une divination, avec la forme des nuages, en miroir de l’astrologie née en Mésopotamie en observant les constellations des nuits sans nuages.

    • Laure, grand merci pour l’ensemble de vos commentaires !
      Merci aussi pour la piste à explorer du côté des anciens Celtes. Un domaine qui ne m’est pas familier, mais encore un fil à tirer, et c’est bonheur. La magie de cet atelier et tous ces commentaires qui enrichissent un travail en cours !

  8. Rétroliens : #rectoverso #14 | Collectif des glaneuses et glaneurs de nuages – le Tiers Livre | écrire, publier, explorer