#rectoverso #12 | Pour quelques cendres

RECTO

Elles s’élancent sur la rive du fleuve de lave, sans protections. Main sur le ôté de la tête pour se protéger de la chaleur. Ça n’a pas plus d’effet qu’un placebo. Elles ont du mal à réaliser qu’à peine qu’elle centaines de mètres plus bas, c’est l’hiver. Mais ici, il ne reste plus de traces des arbres autrefois si verts, tout a brûlé. N’en reste même pas l’espoir, sinon celui de filmer, photographier, montrer ces paysages mouvants, rouges, morts et vivants à la fois. À mesure qu’elles grimpent, les artères de lave s’accumulent, rendant le parcours plus prévisible. Le cône ne crache plus de scories, mais une fumée épaisse, grave, continue de s’en échapper. Anne glisse, se rattrape, pose un genou à terre, se relève, avance. Ariane sent le poids de son sac la contraindre vers le sol, mais elle ne bronche pas. Elles n’ont qu’un seul objectif en tête : traverser le champs de pierres avant qu’une nouvelle coulée de lave ne s’amorce, puis atteindre la proéminence qui leur permettra de revenir avec quelques preuves du danger qui menace la ville blanche en contrebas et de préserver le matériel au cas où l’expédition ne tournerait pas comme elle devrait. Pour l’instant, les vents suivent la bonne direction, l’asphyxie n’est pas encore une option. Malgré tout, rien n’est jamais sûr sur les pentes d’un volcan. Le sol peut s’effondrer n’importe quand et les vents, changer de direction. C’est arrivé à leurs prédécesseurs. Là-haut, on a toutes les raisons de mourir. Anne espère juste que cela se fera sans douleur. Elle ne veut pas savoir si elle souhaite mourir avant Ariane ou le contraire. Dans les deux cas, la souffrance doit être aussi forte dans la tête que dans le corps. Ariane, n’y pense pas, elle n’a pas envie. Tout ne peut que bien se terminer. Avec un peu de chance, elles n’auront jamais conscience que la mort s’approche et finiront-elles poignardées par la lave dans leur sommeil. Elle glisse encore. Levant la tête elle ressent le vent dans ses cheveux. Elle sourit. Ses yeux sont inondées de larmes. Il vient de changer de direction.

VERSO

Les îlots de verdure contrastent avec la dureté de la pierre. Les flancs du cône sont toujours noirs, malgré la distance qui nous sépare de l’éruption qui s’est déroulée trente ans auparavant. La zone reste interdite à la circulation bien entendu – sauf autorisation – mais les traces montrent que, de toute évidences, les curieux se faufilent en douce. Des touristes. Le risque est contenu, certes, mais les observateurs sur place sont formels : il peut se réveiller d’un instant à l’autre. Les plus anciens habitant de Beck, ceux qui étaient là trente ans auparavant, s’y préparent. Cependant, le drame n’ayant pas laissé suffisamment de cicatrices, la méfiance s’estompe rapidement. Les derniers arrivant font comme s’il ne s’était jamais rien passé. La mort de deux scientifiques est une goutte d’eau. Elles venaient du continent, en plus, et seraient de toute façon reparties. Qui sait encore aujourd’hui qu’elles ont littéralement sauvé tout le monde ? En venant ici, j’espère les rencontrer, comprendre si le volcan a quelque chose à voir avec ce qui m’arrive aujourd’hui. Le corps brûlé est-il le même que le corps mort ? Être saisi par les cendres brûlantes est un fantasme définitivement inaccessible. En aurait-il valu la peine ?

A propos de Stewen Corvez

Musicien, compositeur, chercheur. Écouter - https://www.stewencorvez.com/ Regarder - https://www.stewencorvez.art Voir - https://www.youtube.com/c/StewenCorvez