RECTO
La côte est patiente, elle attend le piéton. La grille est ouverte, elle est chaude. La cour ressemble à un sous-sol à ciel ouvert. Une barrière achève l’escalier. Je suis tendu par un autre lieu qui y ressemble, mais apaisé par ce en quoi il diffère. Je suis anxieux, malgré tout, parce que la duplication n’est jamais interdite et que les souvenirs sont trop frais pour ne pas se croiser. Sous le préau, les bruits augmentent, mais jamais suffisamment pour engendrer la panique. Je ne sais pas si c’est la fréquentation du lieu qui le rend tolérable ou si simplement on s’habitue à la douleur. Quand je pars, les retardataires arrivent, c’est normal d’être en retard et c’est tant mieux.
Cette fois, et c’est une première, ils ont pensé à mettre en place un parking. Tout n’est pas encore prêt. L’entrée est trouée et je me demande, à tort, si le pare-choc de ma voiture est suffisamment haut. Je me gare en marche arrière. Les bénévoles sont affairés, je ne sais pas encore qu’ils vont remplir les trous de sable. Je connais de vue les deux personnes qui me suivent. Je crois savoir où tout se passe, même si un doute me fait hésiter à raison. Les rencontres n’ont pas démarré, on me demande ce que je cherche. Je suis un privilégié, comme les deux autres. J’ai mal dormi, le ciel est gris mais tout se passera bien. Dans la salle des fêtes aménagé en cinéma, les discours s’enchaînent, les comptes rendus, les perspectives, de quoi déprimer et se réjouir à la fois. Je me porte volontaire, le handicap ne passionne pas.
Il manque les signatures, les dates. Au moins des corrections, car l’une d’entre elles est erronée. Ça ne change rien, mon QR code est bien trop grand je dois le repasser après avoir dézoomé et pesté parce que mon téléphone s’est mis en veille. Mes clés ne sont plus là, mais chaque chose en son temps. Mon sac est grand ouvert, je trie les chèques pour trouver le bon, pour me souvenir des numéros, pour savoir dans quel ordre je dois faire quoi. Je ne peux pas tous les déposer. Un compte en banque avec un QR code, un compte en banque avec une carte bancaire. Ces clés, qui se trouvent sans doute dans le sac, mais que je ne déniche pas. Il fait très chaud. Je ne m’en rendrai vraiment compte que lorsqu’une femme traversera la porte automatique avec sa fille pour retirer de l’argent. Je ferme mon sac, vérifie deux fois que rien n’est tombé, mes clés ne sont toujours pas là, je dois revenir sur mes pas.
VERSO
La porte du bureau de poste est grande ouverte, je n’entends qu’ un seul client au guichet. Une femme : « mon permis de conduire est dans la voiture ». Le guichetier attend quelques instants et se tourne vers son ordinateur. Le mari : « tiens ». « c’est ma dernière semaine », venant du postier. La femme cherche encore quelque chose dans son sac. « elle rentre bientôt de vacances ». Les boîtes de feuillets de recommandés sont vides. Un appel : « toutes mes condoléances ». Rien sur les tarifs postaux, uniquement la banque et les transactions financières. La femme remet quelque chose dans son sac, le ferme et ça prête à partir. L’homme en face d’elle répond patiemment à ces questions. «Je retourne à la voiture » dit le mari dont on avait fini par oublier l’ombre. « On peut faire ça maintenant si vous voulez ». Elle rouvre son sac. Mais le permis de conduire ne sert finalement pas grand-chose, la situation semble bloquée, on ne sait pas s’il s’agit d’une histoire d’argent, de récupération de colis ou d’autres choses. Une grosse boîte noire est posée juste à côté du guichet. En haut à droite, est moulée une représentation d’oreille. J’ai tout le loisir de rêver àç un bas-relief. Un écouteur à l’ancienne est accroché sur le côté, à gauche. C’est la première fois que je remarque cela. L’échange est confus. Je ne saurai jamais de quoi il aura été question, mais de toute façon cela ne me regarde pas. « Il passe par sa boîte, ça va plus vite ». Il travaille à Paris, cela veut-il dire qu’un employé des postes peut être envoyer n’importe où en France pour faire des remplacements ? « C’est plus facile quand on a des relations ». Est-ce que l’évocation du mariage homosexuel a choqué la femme ? Elle doit avoir entre 60 et 70 ans. Elle embraye sur d’autres banalités sans s’étendre. Peut-être que non.
j’aime beaucoup cette image « La côte est patiente, elle attend le piéton. » Et beaucoup aimé le verso à l’intérieur du bureau de poste. Tout ce qui s’y passe en pas longtemps. Merci
Merci surtout à toi pour ta lecture !
ce qui me touche particulièrement, c’est le temps pris pour raconter ce qui accroche la mémoire, à la nuance près, ce coeur Sarraute qui traîne en soi, l’anxiété galoche qui reste,
non dite car on apprend à taire, dans le monde qui ne s’intéresse pas, c’est exactement cela cette cruauté du non être
le désintérêt
je partage tant ce coup au coeur, quand le handicap ne parle à personne
merci fort
Merci pour ta lecture ! Et c’est fou ce que ce prétexte nous aide à remuer à l’intérieur de nous. Je n’avais pas exploré les ateliers de François depuis longtemps, il était temps que j’y revienne.