RECTO
Le panneau de l’agglomération est monté à l’envers. Une rue coupe le village en sens unique. Trois jardinières se balancent sur trois lampadaires. Une femme, ménagère de plus de cinquante ans, un bouquet à la main, surveille par l’entrebâillement d’une porte cochère qu’aucun engin agricole ne les accroche. Elle lève les bras au ciel au passage de la moissonneuse-batteuse qui les ébranle. La bordure des trottoirs est en pierre blanche ou en aggloméré de couleur claire. Tous les cinquante mètres, une ribambelle de petits pavés ronds traverse la rue d’un bord à l’autre en une ligne sinueuse formant ainsi des vagues sur laquelle l’eau court quand il pleut. La rue est en pente.
Si l’automobiliste tourne la tête à droite il aperçoit une église ni vieille ni récente. Architecture quelconque dans un village quelconque. Si l’automobiliste roule à trente kilomètres/heure comme l’indique le panneau de circulation – deux chiffres inscrits dans un rond blanc bordé de rouge que peu de conducteurs respecte – il a le temps de lire le fronton au-dessus du porche : REGARDE SAINT CHRISTOPHE ET VA-T-EN RASSURÉ. L’injonction a le mérite d’être clair.
Sur la palissade dans la rue qui monte au cimetière, un écriteau portant l’inscription « VENDU » a été apposé. Derrière la palissade, le fond d’un jardin avec un vieux poulailler. La propriété a été divisée en deux lots : le premier avec la maison, probablement un ancien corps de ferme du XIXème et sa courette goudronnée, le deuxième envahi d’herbes folles. Les fleurs qui restent seront sûrement arrachées au profit d’une nouvelle construction. Une benne remplie de gravats trône sous les fenêtres. Plus personne ne s’intéresse aux vieilles choses sans valeur.
VERSO
Une feuille de classeur perforée à petits carreaux est scotchée sur le comptoir. Une main maladroite a écrit la date des congés. La phrase Réouverture le 23 juillet est soulignée deux fois. La paroi en plexiglas installée pendant la période du COVID n’a pas été démontée. Le hachoir à viande, lui, l’a été. « Il n’y a plus de viande à hacher, j’ai été dévalisé. » Il n’y a plus non plus de boîtes d’œufs comme si elles étaient toutes parties en vacances. « Vous aurez moins chaud en Bretagne. » « Il ne me reste plus que ce qui est là. » « Ça tombe bien je vais en prendre. Ils piquent les chorizos à griller ? » Dehors sur le trottoir, une jeune femme attend avec un chien tenu en laisse. Sa jambe gauche est entièrement tatouée de motifs japonisants sur la cuisse, plutôt ethniques sur le mollet complètement noirci. La boucherie sera fermée avant midi.
Comme si j’y étais. Merci
Il y a un côté Western dans ces lieux ! Ici non plus il semble pas y avoir de ville 🙂
Ah oui en écho à ton titre. C’est plutôt la campagne entre deux bourgades. « côté Western » je retiens, ça pourrait me servir.
Contente de retrouver ton écriture Cécile ! J’aime décidément beaucoup ! J’ai particulièrement aimé les 3 lieux. Fragments très visuels. « Tous les cinquante mètres, une ribambelle de petits pavés ronds traverse la rue d’un bord à l’autre en une ligne sinueuse formant ainsi des vagues sur laquelle l’eau court quand il pleut. La rue est en pente. » Et ces vagues qui s’invitent dans un paysage de campagne dans une phrase qui fait cascader les mots, épousant ce qu’elle dit. J’aime aussi la façon dont tu campes les personnages (la femme du 1er lieu, oui, elle est là devant nous, on la voit !).
Merci Emilie pour ton œil averti 😉