Au sud du Petit Bourg , après la dernière barre d’immeubles, ils ont planté, là, un Hôpital Psychiatrique. Trois grandes bâtisses en briques rouges et pierres meulières en forme de U et au centre une fontaine et deux allées de part et d’autres de marronniers, qui fleurissent rose. Les fenêtres de la bâtisse sont assez petites et une des ailes est habitée par les malades très atteints, eux, ont seulement de petites lucarnes. Les gens du Petit Bourg disent qu’ils en ont vu, le soir, roder autour du Monument aux Morts, des fous de l’asile comme ils disent. Ils ne laissent pas sortir les plus dangereux : ceux-là, ils ont des chambres qui ne donnent sur rien, ou sur les murs de l’enceinte en pierres meulières, très solides. Ceux qui sortent passent par une petite tourelle, gardée par un gardien à qui ils doivent montrer des autorisations. Dès fois, ils parlent tout seul et déambulent dans la ville, mais ils sont plutôt tranquilles , enfin on ne sait jamais… Pour entrer dans l’enceinte, c’est une autre histoire, il faut montrer patte blanche. Vous devez vous présenter à l’interphone, d’abord, pour que le lourd portail en fer forgé s’ouvre. Il grince et prévient, à son bruit, de chaque arrivée.
Quelques dizaines d’années plus tard, pas possibilité de retourner sur les lieux, alors c’est Google Earth qui m’y emmène. Je retrouve la barre d’immeuble , et en appuyant sur 180°, je zoome et je revois l’ emplacement de mon appartement , là au 6eme étage sans ascenseur , le parking où on courrait pour monter dans le bibliobus. Et puis avec la touche qui fait monter le curseur sur le clavier, je repasse devant l’hôpital psychiatrique et je découvre ce que petite fille , je n’ ai jamais pu voir… je passe de l’autre côté des murs en pierre meulières.
En cinquante ans , je réalise, que l’enceinte est toujours debout, le portail, la fontaine… mais le reste…
Un immeuble en Algeco qui doit faire office de réfectoire et qui a dû passer, avec les années et les politiques nationales, territoriales et municipales, du provisoire au définitif ,est plus ou moins debout, fissuré et rafistolé par endroit à coup de tôle ondulée et de placo-plâtre .
Des coulées noirâtres tombent du toit sûrement amianté, au début de sa construction, pour «faire vite» et «parer au plus pressé» à cause des surcharges en effectifs, du fait , «qu’on ne sait plus où faire manger les malades» .
Cet établissement de soins est devenu la honte du village, personne n’ose plus le nommer autrement tellement son insalubrité fait la une des journaux locaux et des réseaux sociaux … Pourtant les seules personnes qui semblent encore se battre dans ce lieu sordide, ce sont bien son directeur et son personnel qui, malgré les difficultés de la prise en charge des malades, dans un lieu pareil, se battent jour et nuit pour sauver les pauvres âmes internées et leurs soignants qui croient encore en la dignité humaine…
Voilà un demi-siècle plus tard, ce n’est plus H comme hôpital que les habitants de cette petite ville lisent sur le panneau indicateur de l’établissement , mais H comme honte.
Parfois , les mêmes rapportent que les internés parviennent même à se sauver et sonnent chez les maisons voisines pour demander du secours, d’autres font de petits larcins pour voler dans la superette de quoi manger… d’autres pouvant être plus agressifs et mettre en danger la sécurité des administrés… Le maire et le directeur prennent pourtant « toute la mesure du problème » et le temps de répondre à chaque avis sur Google par un « nous ne manquerons pas de remédier ,dans les plus brefs délais, aux remarques qui nous parviennent et qui nous sont très utiles pour améliorer les conditions de prise en charge des malades dans notre région… ».
Un rideau qui s’ouvre, et l’écriture retrouve sa fonction première : la narration. Et nous, lecteurs, un plaisir basique. H comme histoire. Merci Carole.
Merci , Jean Luc pour ce retour. Est-ce le monde d ‘aujourd’hui qui est entraine la narration, ou la narration qui « éclaire » le monde ? ou les deux après tout…
Quel texte Carole ! Sa force, sa profondeur et le sujet, j’aime le sujet. Merci pour cette lecture du matin, c’est si bien. A bientôt.
Et H comme Honte, j’ai oublié mais bravo.
Toi aussi, Carole, tu ne perds pas le fil de ton histoire. Tu plantes le décor. On y est.
Merci à vous de suivre le fil de l histoire, et d’apprécier sa lecture , ce n est pas facile de construire une ensemble au fur et à mesure des propositions car il y a des changements de point de vue et des éléments qu il faudra harmoniser si reprise.