#rectoverso #06 | Vassili et ses morts (Enceintes suite)

Recto

Quand on est éducateur spécialisé, il faut aimé les autres. Ça fait quinze ans que je travaille à l’hôpital Sainte Marguerite… Et si vous demandez Vassili, tout le monde me connaît …

Dans le temps, Sainte Marguerite, c’était une abbaye où les religieuses accueillaient les soldats qui revenaient de la Grande Guerre, puis ensuite, ça s’est transformé en Hospice pour  les « gueules cassées » et maintenant, c’est un Hôpital Psychiatrique.

Moi,  Vassili, je suis chargé «d’organiser des activités ludiques et sportives pour faciliter la réinsertion des malades ». Ça pourrait paraitre compliquer mais au final, les malades et moi, on fait équipe.

Moi, Vassili, je suis grand et fort, j’organise des activités physiques, courses, jeux de ballons, c’est bien pour ce qu’ils appellent « la socialisation ». Suivre les règles du jeu, c’est vraiment pas facile, et, parfois, une simple partie de foot tourne en bagarre généralisée et ça me fait bien rire,  suis obligé de séparer tout le monde, car ils ne respectent  rien ces gars-là, rien ni personne, Je m’en sors avec quelques coups de poing mais au moins j’ai tenté le coup et je recommencerai…

Moi, Vassili , je ne me décourage jamais.

Quand je suis arrivé de Lituanie, je ne parlais pas un mot de français, j’ai erré de centre d’accueil en centre d’accueil et je me suis butté, je voulais apprendre le français. Et moi, Vassili, j’ai réussi, j’ai appris le français. J’ai appris le bon métier « d’éducateur assistant ». Comme je l’avais promis à ma grand-mère Ida. Je me rappelle encore, le dernier baiser que j’ai fait à ma grand-mère Ida quand je suis parti de mon pays, et que je lui ai fait cette promesse « de devenir quelqu’un ». Ses yeux doux m’ont regardé avec tellement de confiance que j’ai jamais trahi ma parole.

Et puis,  moi Vassili, je suis devenu aussi, le « Mime Vassili » du Cirque Bouglionne, le cirque du bout de la ville… C’est eux qui m’ont appris tout ce que je sais sur le mime. Le jour, éducateur spécialisé, la nuit, mime.

Ça vient que J’aime observer les gens, leur façon de parler, de marcher, de manger, de faire leur métier.

J’aime observer les gens, leur façon d’aimer, de pleurer, de se révolter.

Vous pourrez me dire, pourquoi le mime?

Eh bien, en fait, parler avec les gestes est universel, regarder est universel, partager et tendre la main est universel… pour être un bon mime il faut aimer tout ce « qui» fait homme. Et quand, mes patients ne peuvent plus parler tellement leurs médicaments sont forts, il reste le geste, le signe, le regard  et cette attention qui console et qui unit. Car « le Mime Vassili » apparait là sans triche, sais comprendre ce que personne ne comprend…

Quand la mélancolie les prend, Vassili, visage blanc, nez rouge leur raconte des histoires avec tout son corps, et c’est la joie sur leur visage.

Verso

Je vous ai déjà parlé d’Ida, ma grand-mère. Elle avait un don, Ida savait parler aux morts. Elle est morte  maintenant, et elle continue de hanter mes nuits et me rapporte ce que les autres racontent du bout de l’au-delà,  je ne raconte à personne , on me dirait que je suis aussi fou que les fous. Mais Ida me parle tous les soirs. « Cette ville est hantée de morts qui se sentent abandonnés. Même ceux du Monuments aux morts justement, sont complètement oubliés  par les habitants . Plus de gerbes de commémoration, les gueules cassées aussi ne sont pas très contentes, les soldats errent uniformes en lambeaux, fusils à baïonnettes en main,  en bordure de la forêt, parlent aux fous, se plaignent auprès d’eux mais personnes ne croient les fous, forcément » elle me souffle dans la nuit . « Le cimetière aussi est complètement en friche, il y a quelques familles qui viennent de temps en temps, pour visiter leur mort dès qu’ils sont en deuil, mais un mois passe puis deux puis plus rien ! » Ida reconnait très bien ceux qui sont oubliés, à leur mine, ils sont plus pâles que les autres presque transparents…  Mais ceux pour qui les  familles allument des cierges depuis des années et fleurissent les caveaux, sont plus en chair et colorés pour des morts, Ida me rapporte le nom des tombes en détresse, et je vais à la nuit fleurir leur sépulture. Ida m’a toujours appris qu’il faut aimer les morts comme on aime les vivants et c’est ça le secret de sa place au paradis…

A propos de Carole Temstet

Née , à Paris en 1966 , animatrice d' atelier d 'écriture depuis 17 ans , dans les milieux scolaires et associatifs, j 'aide adultes et enfants à développer leur créativité et à y prendre goût au sein de l ' association Mots et Pinceaux à Nogent sur Marne. J'ai publié , un premier roman intitulé "Hors sujet" et un roman pour la jeunesse à partir de 9 ans " Violon d'étoiles" illustré par mes aquarelles, dit par P. Calmon (acteur) et joué au violon par I. Scialom (violoniste). (lien à trouver sur Publibook.fr) site FB : Carole Temstet

9 commentaires à propos de “#rectoverso #06 | Vassili et ses morts (Enceintes suite)”

  1. « Ida m’a toujours appris qu’il faut aimer les morts comme on aime les vivants et c’est ça le secret de sa place au paradis… »

  2. Et quand, mes patients ne peuvent plus parler tellement leurs médicaments sont forts, il reste le geste, le signe, le regard et cette attention qui console et qui unit. Car « le Mime Vassili » apparait là sans triche, sais comprendre ce qui personne ne comprend…
    Compréhension et amour, altruisme et art. Vassili transporte et transforme la vie de ceux qu’elle traverse parfois dans un brouillard.
    Merci pour votre beau texte.

  3. Merci Carole, très touchant, très vrai, très proche de ton texte précédent avec le H comme honte, j’aime ton écriture, bien à toi.

    • Merci à toi Clarence de tes lectures fidèles, à te lire, fous d’écriture que nous sommes…

  4. « Les morts plus pâles presque transparents, les morts plus en chairs et présumés colorés » cette image et la douceur de cette voix : oui aimer ses morts ( et parfois ils nous quittent ou on croit les oublier) merci Carole

  5. merci pour ces deux personnages, lui l’exilé qui a tout dans son cœur et n’a pas besoin de parler puisqu’il mîme et elle grand-mère disparue
    c’est « sans triche »…
    si beau et prenant…