un square minuscule adossé à une petite église parisienne, petite mais prestigieuse, car le quartier a son passé d’artistes « le Bonaparte, c’était le café de » « les deux Magots, le café de » « le café de Flore, c’est là que », et là déjà vous sentez tout ce que vous avez loupé en naissant trop tard, là Duras faisait de la Résistance et nourrissait sa littérature, l’église a la plus ancienne nef de Paris, l’ancienneté faisant prestige mais la beauté plastique aussi, c’est un losange de verdure entouré d’une grille en fer forgé à pics en fleur de lys et accessible par un petit portillon anti chiens, comportant un marronnier à deux troncs plutôt jeune, on peut imaginer que depuis le VIe siècle beaucoup de ses congénères ont été coupés brûlés ou atteints de maladies (y-a-t’ il eut un temps de mort naturelle des arbres dans les villes ?), un deuxième marronnier légèrement plus âgé à un seul tronc, trois petits arbres dont un de Judée, des arbustes, des fleurs en saison, cinq bancs verts où trainent des vieux et parfois des parents de mômes en poussette, un réverbère du XIXe, des arcs trilobés gothiques adossés au mur du fond et à celui de l’église témoignant de la présence ancienne d’un cloître à moins qu’ayant été recollés là par souci de placer quelque part des traces, une fontaine à bouton poussoir, un buste de femme en bronze, un sol sablonneux ocre jaune, bien sûr chaque chose a son histoire, graine du marronnier blanc graine du marronnier rouge donateur du buste jardiniers maçons et bâtisseurs dessinateur de fontaine et forgerons de grilles, le square est bourrés d’ADN de toutes époques et toutes provenances, sans compter les pigeons les moineaux et les mouches, le square est fermé la nuit, place au repos des morts qui doivent être enterrés là-dessous en plusieurs couches quand on pense à l’histoire de Paris, et dont il ne doit pas rester grand ’chose car même les morts ont une fin
Voir le square est un acte de perception fine de l’espace, tant les images masquent cet angle mort de la place, les cafés l’hôtel les publicités les pavés parisiens l’église le mendiant sur le seuil la baraque à crêpes à l’angle du boulevard l’accès aux grandes avenues et aux galeries d’art, sans compter que l’œil est souvent plongé dans son rectangle numérique noir cherchant fébrilement et virtuellement ce qu’il y a à voir dans le réel qui l’entoure, car il y a bien un réel de pierre de feuillages agités de fer de couleurs florales et de gens oui de gens, ce qui n’est pas dit dans le rectangle noir, l’œil est happé par ce que son esprit sait de l’histoire et par les numéros de bus ou les promesses des vitrines, l’œil n’a que faire d’un mouchoir de verdure à l’ombre d’une église, l’œil est mobile et vigilant alliant le grand et le pratique, sauf que si le corps se manifeste, petite faim et nécessité de s’asseoir, soudain l’on voit le petit square.
Sans doute irai-je m,y asseoir lors d’ un prochain séjour parisien
et dans ce cas rentrez dans l’église entièrement repeinte de motifs géométriques aux couleurs très vives. Merci pour la lecture!
merci pour le conseil
Ah, le petit square où dévorés les livres achetés à La Hune (celle d’avant Vuitton) ! Un plaisir d’y rencontrer les « graine du marronnier rouge donateur du buste jardiniers maçons et bâtisseurs dessinateur de fontaine et forgerons de grilles » avec l’image de traine d’un « ADN de toutes les époques ». merci !
Et merci pour ta lecture et pour la Hune!
oui j’imagine tous les arbres morts depuis je ne sais quel siècle même si je ne connais pas cet endroit, la fontaine, le sol jaune, autant d’histoires reliées soudain et de molécules rassemblées invisibles…
« l’œil est mobile et vigilant alliant le grand et le pratique, sauf que si le corps se manifeste, petite faim et nécessité de s’asseoir, soudain l’on voit le petit square »
Merci pour ta lecture! C’est étonnant comme notre sensibilité est quasiment autant interpellée par les arbres morts que par les gens.
Et bien j’ai raté ce square! Merci de le mettre en lumière…
oui, un square tout à fait ratable…Merci de ta lecture!
Grand merci.. c’est toute l’ambiance parisienne retrouvée dans cette description si fine et si élaborée, et ce regard vigilant et pratique et cette manière de parler des arbres et des morts et des arbres morts avant l’âge…. bravo!
Merci Eve de ta fine réception.
J’aime beaucoup cette description dense des alentours qui met en valeur ce petit carré de verdure. On sent les contrastes et on a presque peur que ce square disparaisse mais avec ce nom-là, on n’a pas à s’inquiéter ! (ps : je suis allée le voir sur google maps. On a vite fait le tour !)
oui , invisible et minuscule… Merci Sylvia, à te lire bientôt!
Rétroliens : #rectoverso #10 | ces chemins qu’on emprunte – le Tiers Livre | écrire, publier, explorer
Merci pour texte si prenant qui révèle si bien tous ces détails du square.. c’est fort. Et merci pour » l’œil est souvent plongé dans son rectangle numérique noir cherchant fébrilement et virtuellement ce qu’il y a à voir dans le réel qui l’entoure ».
Merci Michael! oui, « voir », on se demande ce qu’est vraiment.