C’est entouré de stèles. Des rangées, des lignes de morts, des carcasses dessous, des os en terre, des noms qui disent, c’est un horizon précis dont on ne voit pas la fin mais dont on sait la limite. Entre les tombes, des herbes, des fleurs sauvages, des traces de pas qui vont en ligne comme les rangées, des traces de pas vers les noms connus encore, sauvegardés. Il y a là, loin des très connus, dans la foule des oubliés, un chemin de pierres noires que presque personne n’emprunte. C’est un détour sans rien à voir. Sur les tombes où rien n’est plus gravé qu’un reste de temps, des armoiries vieillies d’un domaine habité, repris par d’autres, des épées et des casques en pierre d’une chevalerie qui n’aura été que de parade, au vu des dates sur les tombes. Dans ce dédale de roman, un soleil vient toujours à cette heure-là de fin de matinée, éclairer d’une certaine manière le blanc du sol, le faisant ressurgir dans cette forêt de pierres usées, lui donnant alors un reflet plus imposant qu’au naturel, faisant grandir tout comme au travers d’une loupe, et les stèles sont les géants des livres, et la forêt s’enchante d’êtres merveilleux, et les os en terre s’animent à tout moment, à qui s’acharne à les regarder.
L’œil absorbe. Il s’assèche. S’humidifie. Se dilate. Se contorsionne. Se rétracte. L’œil est un organe monstre. L’œil répond au cerveau qui ne différencie pas le vrai du faux. L’œil ne sait pas faire la différence. L’œil voit des choses qui existent et d’autres qui n’existent pas. On appelle ça des mirages. Ce n’est pas que la cause du soleil. L’œil fait des mirages tous les jours. L’œil va de bas en haut, de gauche à droite, et le temps de faire ça, quelque chose est né au milieu. Et dès que la paupière se ferme, ça disparaît. Et dès que l’œil repart à gauche, à droit, en haut, en bas, ça revient. Ce n’est jamais pareil. Il n’y a que l’œil qui peut faire ça. C’est un monstre.
Belle mise en abyme de l’oeil… qui parfois même nous trompe !