#rectoverso #10 | il suffit de regarder ailleurs que

le vide du lit au petit matin mais à travers les lattes du volet la lumière pâle et l’ordre du jour croissant. Les rayons encore obliques saisissent le nord, ça ne dure pas dans la saison, c’est très court le corps face à la vitre. Peut-être qu’en tendant la main il voit

estimer l’angle mathématique sans aller chercher les instruments de mesure l’œil fouillant une perspective sur le rebord bétonné imaginant le doigt dessiner la surface pour se remémorer d’une année l’autre et surtout l’hiver

ne plus être sûr soudain de la fiabilité du volet une fois ouvert. Il emporte avec lui ce qui forme paysage. Qui regarde le vide du lit au petit matin tourne le dos au jardin. La frondaison s’est étoffée depuis, ramassée, raccourcissant les troncs, fronçant le cœur des arbres, jaunissant déjà les feuilles intérieures au plein de l’été dans l’ombre. Les mûres noires tachent l’herbe verte, tachent les pieds idem si vous veniez à les fouler sous les mûriers, tachant la terrasse au-delà de sa bordure, tachant le carrelage qu’il faudra essuyer

avoir occulté le fait du jus rouge sur le sol en ayant omis de tailler les arbres à la sortie de l’hiver ne se rappelant plus que le ciel rétrécirait au fur et à mesure que l’été avancerait jusqu’à tout engloutir avec ombre précoce l’œil ne perçant même plus le feuillage trop épais

une pierre s’allonge noircie elle-aussi  par le jus des fruits. Personne n’a envie de s’y asseoir craignant se tacher craignant mouches et insectes craignant mammifères fructivores. La pierre monolithe et plate ne tient plus son rôle de banc

tout l’été l’œil va chercher la lumière à qui l’aura perdue trop tôt la contemplation du vide dans le lit la contemplation du bois de lit auréolé d’une tête saint-suaire fixée là justement en lisant le soir avant de fermer les yeux enfin dormir

si on se place au bon endroit du lit pour regarder par la fenêtre on imagine une belle composition de chèvrefeuille et de chrysanthèmes non simultanée. Personne ne veut voir la mort sous le houx en cendres répandues

il paraît ça ne lui a pas porté chance c’est ce qu’on lui a dit inutile de s’en approcher même indécis le contour se perd on pourrait découvrir il suffit de regarder ailleurs

de temps en temps un oiseau des oiseaux un vol d’étourneaux des hirondelles plus ou moins haut dans le ciel. Une vieille poêle suspendue à mi-hauteur d’une chaîne pend à une branche, recouverte d’un couvercle de casserole. Un poids de tisserand maintient droite la suspension. Des tiges de tournesols secs croisent un toit de leurs têtes pleines et rêches. Une mésange deux mésanges piquent une graine dans la mangeoire et puis s’en vont. Un pinson s’installe et

on ne voit plus rien quand le volet se ferme

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

11 commentaires à propos de “#rectoverso #10 | il suffit de regarder ailleurs que”

  1. merci pour le spectacle depuis la fenêtre avant que le volet se referme
    on lit on glisse on essaie de se placer au bon endroit comme on nous l’indique, et il y a les arbres et les saisons
    « ne se rappelant plus que le ciel rétrécirait au fur et à mesure que l’été avancerait jusqu’à tout engloutir avec ombre précoce l’œil ne perçant même plus le feuillage trop épais »
    (beaucoup aimé, Cécile)

  2. Ai aimé cette promenade immobile entre mûrier et chèvrefeuille, ombre et lumière, pinson et hirondelles.

    • Merci Betty pour l’adjectif immobile de ta lecture que je n’avais pas en tête en écrivant mais oui.il y a une certaine immobilité.

  3. Ton texte me fait penser à la chanson de Barbara, Pierre. Je ne sais pas si tu la connais… Pas le même temps (il pleut, chez elle), ni la même saison, et pourtant…

  4. J’aime bien » le volet qui emporte avec lui ce qui fait paysage »… Être comme en un songe…

  5. Touché par le rythme, les superpositions. Les observations si justes… Merci Cécile pour la beauté de ce texte

  6. Merci Cécile pour la délicatesse de ces fragments autour du lit vide. Le paysage, l’écriture, l’été et le jus rouge des mûres, et nous avec tournons autour. J’apprécie toujours autant la densité de ton écriture sa force poétique pour appréhender un réel insaisissable sans elle.

  7. C’est. une rêverie teintée de nostalgie (un peu), de mélancolie (un peu). Tu parles de contemplation, c’est vraiment ça. Il y a du temps, du silence, des pensées fugaces peut-être. C’est très beau !