#rectoverso #11 | en train

Les fenêtres des trains, comme les yeux des mouches, voient tout.

Je n’écrirai rien sur les bébés qui chougnent, pleurent, crient dans les trains.

Comment font les personnes de plus d’un mètre quatre-vingt-cinq pour s’assoir dans un TGV en France ?

Tuer celle qui mâche son sandwich au thon mayonnaise en ouvrant la bouche comme un hippopotame qui baille. Envie de lui offrir un œuf dur pour qu’elle s’étouffe. 

Qui n’a jamais créer d’association entre les rails de chemin de fer et les films de cow-boys sur la conquête de l’ouest américain, où les indiens sur leurs magnifiques alezans attaquent les riches blancs à la sortie du tunnel ?

Les jours pluvieux, à l’extérieur des fenêtres, les multiples gouttelettes glissent, deviennent horizontales, s’affinent, se subdivisent puis disparaissent. C’est assez beau et ça peut, somme toute, devenir addictif.

Se lancer le défi de réussir à persuader, en deux heures trente de trajet, de vous suivre dans votre marche à travers le Haut Vercors votre voisine qui partait pour un séjour à Mimizan plage. Et lui avouer au moment où vous l’avez suffisamment séduite pour qu’elle vous suive, que c’était un pari. 

Certains portent des casques mais s’ils règlent leurs écouteurs fort, on profite tous d’un concert de métal à sept heures du matin. De plus si le métalleux en question possède de nombreux piercings, l’impression qu’à chaque mouvement qu’il accomplit un gardien de prison passe dans le couloir avec ses clés à la taille. Non je ne suis pas complétement intolérante.

Il y a les parents qui ont des enfants sages qui s’endorment dès que le train quitte la gare, à croire qu’ils leur ont donné une dose de sirop soporifique au caramel pour avoir la paix durant les heures de trajet. Ce sera facile pour le couple de passer des heures tranquilles à lire ou feuilleter des magazines, callé sur un siège inconfortable et exigu. Confort auditif incontestablement partagé par les tous autres passagers.

Voyager des heures dans un train silencieux permet de se concentrer, de prendre des notes sur un projet littéraire ou travailler sur autre chose de sérieux, ou d’observer derrière la vitre filer les vaches, courir les nuages, se déformer les arbres et se pencher les clochers, patiner les tracteurs. A se croire peintre surréaliste ou fumeur de haschich. La deuxième éventualité étant plus d’actualité en 2025.

Pourquoi y a-t-il toujours une personne dans un train qui raconte sa vie à son voisin, initialement un(e) inconnu(e) et qui poliment écoute, et l’ensemble du voisinage proche doit se mettre des écouteurs sur les oreilles pour ne pas écouter, pour d’échapper au récit des péripéties de cet(te) inconnu(e) dont il n’a rien à faire, voire même qui l’insupporte et qui est de moins en moins un(e) inconnu(e) car il (ou elle) va aux fils des heures parler de plus en plus sur ses problèmes de santé, de couple, de travail, etc. etc.  cet(te) inconnu(e)  l’insupporte d’autant plus s’il a besoin de ce temps pour travailler à un compte-rendu d’une réunion professionnelle attendu à son arrivée.

Les passagers (la SNCF nous appelle les usagers, mais je ne suis pas membre du personnel de la SNCF), qui arrivent au dernier moment sont particulièrement pénibles pour les autres (je m’abstiendrais d’évoquer ceux et celles qui se trompent de voiture et le constatent lorsque d’autres personnes arrivent pour s’asseoir là où leurs sièges sont occupés) car ils ne savent pas où déposer leurs bagages volumineux, et c’est normal car il n’y a (sauf peut-être en première classe, mais je ne fréquente pas la première classe) suffisamment d’espaces pour que chacun puisse poser, disposer ses bagages sans gêner le passage des autres. Donc ceux qui arrivent juste avant le départ posent où ils peuvent (dans les couloirs) leurs valises, sacs à dos… Ce qui ne manque pas d’entraver la circulation des passagers dans les coins pour téléphoner ou ont besoin d’aller aux toilettes (fermées un jour sur deux).

Au crépuscule suivre du regard, depuis un fauteuil avec repose-tête à bonne hauteur d’un train, les feux arrière (d’un beau rouge vermillon) d’une voiture qui roule régulièrement sur une petite route en lacet, qui parcourt un paysage à peine visible, comporte une dose de plaisir certain et d’incitation à la rêverie, parfois même à divaguer jusqu’à se questionner sur ce qu’on pourrait tirer de cette image (qui elle-même renvoie quelquefois à une scène de film, un policier turc peut-être, dont évidemment on ne se souvient ni le titre, ni l’histoire, seulement cette séquence longue mais particulièrement réussie sur le plan esthétique). Et même si le présent immédiat de cette image ou le souvenir d’une scène vue n’est pas utilisable pour produire quelque chose, pour écrire un texte, pas intégrable à un projet visuel en cours, on peut toujours tirer un certain plaisir gratuit à regarder cette voiture rouler, avec une attention flottante comme celle d’un(e) psychanalyste qui entend les mots dits et les non-dits lors d’une séance.

S’endormir doucement dans un train, avec l’impression d’être bercé délicatement, le sentiment qu’il ne peut rien arriver de grave, de dramatique allongé sur cette couchette, qui ressemble à un grand cocon, même si à l’arrivée on ne sera pas un papillon, se sentir sécurisé dans ce lit spartiate où on ne dormira qu’une seule et unique fois, être en transit mais en confiance, être entre deux gares, deux villes, entre deux moments de sa vie. Dormir profondément et faire le plein de rêves décousus comme les rêves réussis le sont, même si à l’arrivée (qui sera brutale, comme le sont les arrivées au petit jour, trop tôt) on ne se souviendra que de quelques brides de ces rêves et encore si c’est un jour de chance. Baver un peu sur l’oreiller à la taie de coton propre et douce pour se l’approprier le temps de la nuit ou comme une preuve d’abandon et laisser une fine trace d’ADN de cette nuit particulière. Se sentir dans une parenthèse (positive) de sa vie, parce qu’être nulle part vraiment, même si le GPS du téléphone portable sait parfaitement repérer l’endroit précis à un instant T où est le train, où est ce corps allongé, endormi, en arrêt d’activité physique mais pas psychique. Être ce corps un peu balloté, dépendant d’un conducteur de train, lui avoir délégué sans le connaitre, sans y penser la responsabilité d’arriver à bon port, au bon moment, au bon endroit. S’endormir en confiance sans y penser, comme les petits enfants s’endorment dans des bras protecteurs.

1. En train

2. Solitude

3. Lumière

4. Le quotidien

5. La qualité d’impression d’un livre

6. Fleurs dans un vase

7. Les livres

8. Les tissus

9. Le problème des bagages

10. Les petites choses

11. Le manque

12. Les images rétiniennes

13. Trouver son coin dans une maison

14. Objets sensuels

15. La précision imparfaite des mots

16. Cimetières 

17. Les bibliothèques

18. Etre amoureux

19. Le sommeil

20. Sentier des crêtes

21. La question des clés

22. L’antipathie

23. Le cinéma

24. Jolies rencontres

25. Cartes et plans

26.Le lendemain matin

27. L’attente

28. Ce que je trouve particulièrement beau

29. Boire du thé

30. Le silence

31. Les chats

32. Prêter attention

33. Le dilemme du tri

34. Ceux qui gueulent au lieu de parler

35. L’odeur des boulangeries

36. Etre en mouvement

37. La libellule comme motif

38. Les tenues des femmes rom

39. Les prévisions météo

40. L’exil

41. La perte de l’émerveillement 

42. L’angoisse 

43. Les voix rocailleuses

44. Eplucher des légumes

45. Le massage

46. Allumer du feu

47. Maladies psychiques

48. L’écoute

49. Le parfum de la peau

50. Récupérer de la nourriture

51. Les nuages dans le ciel

52. Les natures mortes

53. La notion de bon moment

54. Le chocolat noir

55. Le besoin de consolation

56. Le point de vue

57. Le chant grégorien

58. La peur de la pauvreté

59. Marcher

60. Les céramiques

61. Les voisins proches

62. La finesse

63. L’absence

64. Le land Art

65. Corps

66. Arbres caducs

67. L’angoisse du vide

68. Les coquelicots

69. Rater

70. La voix suraigüe des petites filles

71. Désirer

72. Désapprendre

73. Les listes

A propos de Pascale Sablonnières

photographe et professeure dans une école d'arts plastiques, j'écris. j'écris en lien ou pas avec des œuvres visuelles, ou avec ce qui se passe ou ne se passe pas. https://dungesteverslautre.blogspot.com/ http://www.pascale-sablonnieres.fr/

9 commentaires à propos de “#rectoverso #11 | en train”

  1. On a tous vécu des expériences similaires dans un train, c’est magnifiquement restitué. « S’endormir dans un train » m’a particulièrement touchée et amusée. Quant au verso, incroyable ce qu’elle vient interroger et donner consistance au recto.

  2. Bravo. c’est incroyable comme cette consigne de François Bon à mi-parcours est productive de liberté.

  3. Se laisser bercer par le rythme des fragments comme le roulis du train. Et voir dans la liste numérotée les sièges occupés du wagon. En choisir un et se laisser traverser par l’histoire qu’il raconterait. Par exemple « La notion de bon moment » ou « Les tenues des femmes rom ». Merci Pascale pour ce voyage.

    • Merci Cécile. Lorsque j’ai écrit  » la notion de bon moment  » j’ai pensé que « ce n’est jamais le bon moment  » pour dire certaines choses  » et non pas  » passe un bon moment « . Le sens polysémique m’a été donné par votre retour.

  4. Emporté par le train de ces textes… et ces items « La précision imparfaite des mots », « La notion de bon moment », « Le besoin de consolation »… Merci Pascale