#rectoverso #PS | l’écrire, ce poème

Pour écrire ce post-scriptum, je suis partie du texte #10 dans lequel j'ai inséré des fragments écrits par ailleurs à partir de notations de couleurs relevées dans mes lectures depuis un an. Contrairement aux forces de Laura Vasquez où les poèmes se disent, ici ils s'écrivent selon le procédé adopté par Mathieu Belezi dans Cantique du chaos.

Le vide du lit au matin est propice quand à travers les lattes du volet la lumière pâle perce et que le jour croît. Les rayons encore obliques saisissent le nord, ça ne dure pas dans la saison, c’est très court le corps face à la vitre et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire

l’été vermillon est trop chaud trop lourd     trop
le soleil n’est que menace avec ses dagues rougeoyantes à blanc
on aimerait le rose léger du papier toilette
ou les points coquelicot après des jours de pluie battante
le soleil n’est plus ce rond vermeil offert à la nature     il est cœur malade
on dirait que le sang d’une bataille a empourpré la plaine   éclaboussé la roche

ensuite j’ai attendu mais rien d’autre ne s’est  écrit. Et je ne suis plus sûre soudain de la fiabilité du volet une fois ouvert. Il emporte avec lui ce qui forme paysage. J’arrête d’écrire. La frondaison s’est étoffée depuis, ramassée, raccourcissant les troncs, fronçant le cœur des arbres, jaunissant déjà les feuilles intérieures au plein de l’été dans l’ombre. Les mûres noires tachent l’herbe verte, tachent les pieds idem si vous veniez à les fouler sous les mûriers, tachant la terrasse au-delà de sa bordure, tachant le carrelage qu’il faudra essuyer. J’ai fini par trouver une suite aux fragments qui attendent depuis plusieurs jours un développement mais lequel ? me disais-je ? et plus j’y pensais moins je trouvais d’issue. Alors j’ai recommencé à écrire

les engins agricoles avalent la poussière pour la recracher aussitôt sur le chemin
exprimant de toutes parts leur colère de tôle et de ferraille peintes
le coin des yeux encrassés de terre et de cendres
le monde flamme brûle à la surface de mes paupières
les sommets rosissent puis défoncent le ciel papier buvard
tout saigne tandis que l’ombre s’affale comme un chien sur son tapis    

et je n’ai pas posé de point. Avoir occulté le fait du jus rouge sur le sol en ayant omis de tailler les arbres à la sortie de l’hiver ne se rappelant plus que le ciel rétrécirait au fur et à mesure que l’été avancerait jusqu’à tout engloutir avec l’ombre précoce et l’œil ne perce plus le feuillage trop épais.  Une pierre s’allonge noircie elle-aussi  par le jus des fruits. Personne n’a envie de s’y asseoir craignant se tacher craignant mouches et insectes craignant mammifères fructivores. La pierre monolithe et plate ne tient plus son rôle de banc. J’ai repris mon cahier dans lequel je continue à accumuler toutes sortes de fragments qui ne seront jamais lus que par moi-même, j’ai envie d’écrire mais quoi

une faible ligne jaune monte à l’est
puis un flot de lumière se déverse dans un étincellement de genêts illuminant la campagne recouverte par endroits de sa terne fourrure de paille
les mûriers platanes ont encore leurs feuilles d’un jaune tranchant sur le ciel vif
au sol les grandes feuilles de figuiers découpées s’entassent jaunes et molles
fragmenté par les feuilles des arbres le soleil de fin d’été dessine sur l’herbe rase et jaune des formes bougeant sans cesse

un sphinx colibri s’attarde sur les derniers œillets d’Inde et les premiers chrysanthèmes dorés
les tiges et les feuilles de tomate sont jaunes et racornies
les conifères jaunes de sécheresse s’étirent en flammèches faméliques et fanées
le chaume émet une faible lueur jaune et craque sous les pieds

je marche d’un pas lourd sur l’herbe sèche et jaune je marche sur des kilomètres d’herbes jaunies je marche sous un vent safrané
crachant un nuage soufré comme un fusil sa poudre
à perte de vue mon regard se pose sur les champs desséchés de maïs secs et les tournesols grillés

en fin d’après-midi le jaune se meut en un épais plancher poussiéreux à la senteur piquante de carvi que des touffes d’herbes jaunes crèvent
cà et là
la lumière du soleil transforme la poussière de la plaine en or impur
le soleil décline avec une insoutenable lenteur vers l’ouest et passant par la petite fenêtre trace un carré de lumière jaune sur la porte close

Tout l’été l’œil va chercher la lumière à qui l’aura perdue trop tôt. Si on se place au bon endroit du lit pour regarder par la fenêtre on imagine une belle composition de chèvrefeuille et d’ipomées. Personne ne veut voir la mort sous le houx en cendres répandues. Il paraît d’ailleurs que ça ne lui a pas porté chance c’est ce qu’on lui a dit inutile de s’en approcher même indécis le contour se perd, il suffit de regarder ailleurs. De temps en temps un oiseau des oiseaux un vol d’étourneaux des hirondelles plus ou moins haut dans le ciel. Une vieille poêle suspendue à mi-hauteur d’une chaîne pend à une branche, recouverte d’un couvercle de casserole. Un poids de tisserand maintient droite la suspension. Des tiges sèchent de tournesols croisent un toit de leurs têtes pleines et rêches. Une mésange deux mésanges piquent une graine dans la mangeoire et puis s’en vont. Un pinson s’installe.

On ne voit plus rien quand le volet se ferme.

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

Une réponse à “#rectoverso #PS | l’écrire, ce poème”

  1. Ce texte Tout ce qu’on voit à travers le volet Tout ce temps dit qui avance et amène le poème L’écriture du végétal. Formidable texte. Bravo et Merci