CODICILLE
Que je vous explique ma présence dans ce RECTOVERSO 2025.
L’été dernier, j’ai participé aux 40 textes en 40 jours. J’ai essayé de répondre, au mieux de ce que j’en comprenais, à toutes les propositions de François. En gardant le rythme : un texte par jour. J’ai été passionnée par le challenge et, bien sûr, par la diversité des propositions et les ouvertures qu’elles offraient à mon écriture. Ce n’est qu’à mi-parcours que j’ai réalisé que je pourrais appliquer chaque proposition à un projet de roman que j’avais en tête et que j’ai commencé à répondre à chaque proposition autour du thème de ce roman. Alors cette année, dès la première proposition, j’ai écrit sur mon personnage : Étienne. Si vous avez lu toutes mes contributions vous en savez déjà beaucoup sur lui. En ferai-je un roman ? Pas sûr. Il faudrait que je trouve la forme qui me donnerait l’envie de l’écrire. Pour l’instant, je ne l’ai pas. Car pour moi, tout texte doit trouver sa forme. Dans mes écrits j’en ai expérimenté quelques-unes. Je voudrais pour ce roman une forme éclatée. Merci à François et à vous toutes et tous qui me lisez et me commentez.
RECTO
CHOSES QUI ÉMEUVENT L’ENFANT ÉTIENNE
Les bonnes joues de Rosalie.
Les gros seins de Jenny, la fermière d’à côté.
Le loriot qu’on entend chanter, mais qu’on ne voit jamais.
La robe rose de Rosalie, celle qui a des volants et un col de dentelle.
Le moulin qui, l’hiver, émerge du brouillard. On dirait qu’il porte un gros cache-nez.
La hotte d’un vendangeur s’est percée : « Putain, j’ai du jus dans la raie des fesses !
Le coq du poulailler qui attaque régulièrement ses mollets ; il le décanille avec sa fronde, une sacrée fronde.
Le soleil levant qui pénètre par les fenêtres du salon. La gelée blanche raidit l’herbe et en fait un tapis d’argent.
Les baisers mouillés de Rosalie : « Je t’aime, Étienne ! Écoute, ça rime ! Je t’aime, Étienne ! Je t’aime, Étienne ! »
Faire des cabanes dans les bottes de paille. Avec les copains du village, c’est bien. Avec Rosalie, c’est mieux, c’est autre chose.
Le chien Rocco et le chat Tigrou qui marchent côte à côte dans l’allée. Complices, ils causent en se dirigeant résolument vers une destination connue d’eux seuls.
Les cheveux de Rosalie, bleus à force d’être noirs et brillants. Impossible à discipliner. Aucune barrette, aucun serre-tête, aucun élastique n’y parvient au grand désespoir de sa mère.
Une mésange bleue a fait son nid dans la pompe, elle fait des aller-retours pour donner la béquée à ses petits. Pas question de la déloger. Plus moyen de pomper l’eau pour l‘abreuvoir des vaches. Que faire ?
La bonne odeur de la saucisse qu’on grille dans la cheminée de la cuisine. Rien de meilleur quand on revient trempé de la pêche avec une faim de gueux. On s’assied sur le cantou, on se chauffe les pieds et on salive autant que le chien en attendant la cloche qui annonce le repas.
Rosalie et Etienne sont montés au coteau avec leurs vélos. L’idée est d’en redescendre en selle. « Freine, Rosalie, freine ! » Le vélo de Rosalie s’emballe. Rosalie tombe et toute écorchée va pleurnicher dans le giron de sa mère. La gifle est pour Étienne. Qui s’en fiche, du moment que Rosalie n’est pas grondée.
Les chaussettes de Rosalie, jamais tirées à la même hauteur. Les culottes de Rosalie qu’elle remonte à travers ses jupes. Les genoux de Rosalie rouges de mercurochrome, les mains de Rosalie toujours sales, ses petits pieds dans ses sandales tellement mignons, les nœuds dans le dos de ses robes, toujours défaits, toujours refaits par Tante Eugénie.
Le banc du fond de l’église. Étienne y est assis avec ses copains. Au moment où son oncle, pilier de rugby, en retard comme toujours, s’installe au bout du banc, les garçons se font un clin d’œil et se lèvent tous ensemble. Le banc bascule, l’oncle colosse, dans un grand fracas, se retrouve le cul par terre. De joie, l’enfant de chœur agite la clochette. Le curé en lâche son livre de messe.
La vieille photo du moulin à vent, celle avec ses ailes en mauvais état. Au premier plan pose le grand-père d’Étienne. Quel âge peut-il avoir ? Une dizaine d’années ? Il se tient devant le moulin avec ses parents et son frère aîné. Quelle vêture ! On habillait les jeunes garçons comme ça en 1900. Un pantalon, une petite capeline, très seyante, la petite capeline, vraiment très seyante. Pour une fille, passe encore, mais pour des garçons !
Les disputes de Grand-mère et de Tante Léonie, à propos de la cuisine des oies. Faut-il mettre les foies en bocaux ou en boites en fer ? Et la taille des contenants. Et les temps de cuisson ? Tous les ans, c’est la même histoire : combien de sel, une larme d’armagnac ou pas d’armagnac. Pour finir tous les foies sont bons, ceux de Grand-mère et ceux de Tante Léonie. Étienne a une préférence qu’il ne confie qu’à Rosalie. Il dit un merci de cérémonie et déguste les uns et les autres avec la même dévotion.
C’est le jour de l’an. Rosalie récite le compliment qu’elle a appris à l’école des Sœurs : « Chers parents, en ce jour de l’an votre petite fille vous dit… vous dit dans un gros baiser toute sa tendresse pour vous. Que Jé… que Jésus, oui c’est ça, que Jésus vous bénisse, vous donne santé, joie, bonheur. Vous me gâtez tant et tant que mon petit cœur voudrait vous… que mon petit cœur voudrait vous redire mille fois qu’il vous aime. Je veux être bien sage pour vous faire plaisir. Après je sais plus. C’est écrit sur mon papier. Voilà, c’est là ! » Sage, toi, Rosalie !
Un papillon. Un papillon qui volète. Un papillon jaune, jaune et noir, qui s’amuse près du moulin. Un papillon à grande queue, qu’on appelle le porte-queue, dont le nom savant est machaon. Qui a sur chacune de ses petites ailes un collier d’ocelles bleus qui se termine par une perle rouge. Un papillon rare dans le coteau. Un machaon qui sera bientôt dans le filet d’Étienne. Le papillon va de fleur en fleur, inconscient du péril, heureux de toutes ses ailes, le garçon, lui, court de toutes ses jambes, le filet court aussi. Le papillon se pose, le filet aussi, raté ! Le papillon s’est esquivé dans un vol gracieux. C’est rapide ces petites choses-là. Le revoilà, là, sur une tige de fenouil, qu’il est beau ! Le machaon finira dans une boite à papillons, accrochée dans la chambre d’Étienne.
VERSO
Choses du coteau qu’on est seul à connaître
Choses délicieuses pour le goûter
Choses dégoûtantes qu’on touche tout de même
Choses à ne répéter à personne sauf à Rosalie
Choses à mettre à ses pieds pour aller pêcher
Choses à emporter pour aller pêcher
Choses qu’on devrait jeter mais qu’on garde comme un trésor
Choses nécessaires pour faire des boîtes à papillons
Choses pour se cacher
Choses pour jouer aux billes
Choses pour faire des farces aux copains
Choses qu’on ne dit pas aux filles surtout pas à Rosalie
Choses pour gratter la terre
Choses pour ranger ses asticots
Choses pour lire au lit quand tout le monde dort
Choses pour brosser le chien Rocco
Choses qu’on ne doit pas boire
Choses cassées qu’on essaye de réparer
Choses pour embêter la maitresse
Choses pour faire plaisir à la maîtresse
Choses que font les vaches
Choses que fait le taureau avec les vaches
Choses que font les veaux
Choses que font les grandes hirondelles dans l’étable
Choses qu’on donne aux cochons
Choses qu’on donne aux oiseaux
Choses pour faire plaisir à Rosalie
Choses qu’on chipe à Ida à la cuisine
Choses pour couper
Choses pour mesurer
Choses à admettre sans discuter
Choses qu’on ne comprend pas parce qu’on est trop petit
Choses qu’on ne doit plus faire parce qu’on est trop grand
Choses qu’on raconte pour se vanter
Choses qu’on dit pour faire l’intéressant
Choses qu’on ne dit qu’aux oiseaux
Choses qui font bailler aux corneilles
Choses qu’on aimerait recevoir pour Noël
Choses qu’on fait croire à Rosalie
Choses qu’on cache à Oncle Charles
Choses qu’on déteste faire
Choses qu’on aime faire
Choses qu’on offre à Rosalie
Choses gentilles qu’on dit
Choses méchantes qu’on fait quand même
Choses qui rendent honteux
Choses dont on demande pardon
Choses qui font pleurer
Choses qui font crier de joie
Choses qu’on oubliera
Choses dont on se souviendra
…
Etienne et Rosalie : quel beau roman, déjà là, dans ce déploiement sous nos yeux de lecteurs avides d’en lire plus, évidemment !
Merci Serge. Au prochain épisode…
ça y est, le livre est en route !
Il y a encore beaucoup de travail avant de se lancer vraiment… Merci Sylvia
Etienne espiègle est un gentil garçon. Rosalie et Etienne sont deux des enfants très attachants, plein de promesses. Que longue vie leur soit donnée…
Dans ma tête, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants !
Quelle jolie histoire « Etienne et Rosalie, ces touches culinaires et érotiques qui vont souvent de paires, que vous semez ici et là, merci Emilie
Merci Raymonde, je me suis amusée à retourner en enfance pour répondre à cette proposition.
Oh mais j’adore! Hâte de suivre les personnages…
Merci Marie-Caroline d’adorer, même si la tante Eugénie dirait : « On adore que Dieu ! »
Bravo Émilie. J’ai également hâte de découvrir la suite des aventures du jeune Étienne et de Rosalie son amoureuse, dans la forme de roman qui vous conviendra le mieux.
Oh la la , vous me mettez la pression ! En plus des contraintes de la consigne, j’ai aussi la mienne : parler d’Etienne. Merci de votre intérêt , Pascale.
Je pourrais écrire le même codicille: creuser un projet de roman en prenant appui sur les propositions de FB.
Je ne sais si je les comprends vraiment. Mais j’écris. Ou plutôt, *ça* écrit.
Et que j’aime ces chaussettes qui ne sont jamais à la même hauteur!
Merci George, je vois que nous nous comprenons. J’ai écrit un opuscule, publié en 2012, fait à partir de textes écrits dans un atelier d’écriture. J’étais allée, pour suivre cet atelier, à Paris, un week-end par mois, pendant trois ans. J’avais décidé la deuxième année que, quoi que propose l’animatrice, j’écrirai sur l’Indochine. Ce fut possible, sauf pour la dernière proposition. C’est ainsi qu’est né mon livre « La petite flingueuse – retour à Diên, Biên Phu ». Le livre est épuisé, la maison d’édition n’existe plus. Je viens de faire réimprimer cent exemplaires à mes frais.
Attirée par le codicille et les questions communes, la forme, les habits à donner à l’histoire maintenant que le personnage est, lui, déjà bien habillé.
Et puis attrapée par Etienne, emmenée par la main pour une balade à la pêche, (tant que Rosalie n’est pas là ;-))
Prometteur, Etienne !
Rosalie arrive !
Oups, je file 😂!
Sacré projet ! Belle descente dans les souvenirs (fictifs ou non) 🙂
Merci Stewen. J’ai beaucoup de matière dans mes souvenirs et beaucoup aussi dans mon imagination.
J’aime beaucoup la vitalité et la sensualité latente du récit. Et le fait que personnages, chat, chien, papillon, etc. sont tous placés à un moment donné au premier plan, j’adore (pardon tante Eugénie !) l’effet de réel que cela produit. Tout à fait d’accord avec vous sur le fait que « tout texte doit trouver sa forme »… à la lecture du verso j’ai pensé que vous vous en approchiez. En tout cas, très beau projet !
Merci Muriel de votre lecture et votre cpmmentaire. On se pose tous les mêmes question