— Qu’est-ce qui se passe ?
— Qu’est-ce qui t’arrive ?
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Qu’est-ce qu’y a ??
Il y a de la poésie concrète dans les dépôts sauvages. Il y a qu’on y cherche ses phrases.
Il y a que mes jours sont des endroits. Il y a que mes endroits sont l’envers de mes jours.
Il y a un escargot dans le romarin.
Il y a s’étirant le corps de l’escargot le long des brins du romarin.
Il y a glissé.
Il y a la lenteur.
Il y a le parfum.
Il y a les yeux de l’escargot.
Il y a un escargot vivant dans le romarin.
Il y a qu’écrire serait ça, une phrase escargot.
Et que le romarin abrite un escargot.
Il y a que le corps va où le regard le mène.
Qu’il n’y a pas de regard sans corps.
Pas de regard sans qu’un corps vienne.
…
Il y a des images dans le mobile.
Il y a un album d’images dans le mobile.
Il y a des photos prises — il y a un paquet de photos prises.
Il y a une mémoire dans le mobile.
Il y a une mémoire pleine : d’images oubliées ou sorties de la tête.
Il y a qu’un événement sans titre est une suite d’images prises un même jour.
Il y a que la photo fait l’endroit.
Il y a que l’endroit fait le jour.
Il y a que le jour fait l’événement.
Il y a qu’on a son mobile sous la main.
Il y a qu’on a son mobile sur soi.
Il y a qu’on ne sort pas sans mobile.
Il y a qu’on porte avec soi des images qu’on a plus en tête.
Il y a que c’est dans la poche.
… Il y a une intimité avec le désert.
Il y a une espèce d’intimité avec les formes environnantes de désert.
Il y a que la solitude est partagée. Est omniprésente.
Il y a l’isolation, ou il y a l’isolement. Il y a des îles.
Il y a que les aménagements sont des îles.
Il y a qu’on a pris la route ce matin. Il y a de l’intimité dans le désert…
Il y a que les terres sont mortes.
— Il y a que l’agriculture est sous perfusion. Intubée.
Il y a désertification, et il y a désertion…
Il y a des tas de tout à l’entrée des chemins.
Il y a une barrière à l’entrée du chemin.
… Il y a la D1036… Il y a eu la N330. Il y a que la route est barrée : il y a une déviation.
Il y a qu’on conduit.
…
Il y a un autre jardin.
Il y a l’enfilade des jardins.
Il y a un ramier à couver dans le mûrier. Il y a le mâle, la femelle à se relayer.
Il y a des corneilles plein le cerisier.
Il y a le monument d’air qu’est le cerisier.
Il y a que mon auto c’est quelqu’un.
Il y a que c’était.
Il y a quelqu’un sous une auto.
Sous une auto, il y a quelqu’un.
Il y a une auto, il y a un blanc.
Il y a que j’ai un blanc. Il y a que j’ai une auto.
… problématiques…
— Il y a un problème ?
— Oui il y a un problème… Il n’y aura pas de livre sans traiter du problème. Plus ça va, plus c’est un problème. C’est un problème général, le problème d’écrire : écrire est un problème. Écrire est de plus en plus un problème, le devient. La question d’écrire. Qu’est-ce qu’écrire fait devenir ? Pas un auteur. Pas de livre à venir, sans qu’il se coltine la question d’écrire. C’est d’origine, le problème. Un problème de vie. C’est un problème avec la vie. C’est ce qu’on fait d’une vie à écrire, le problème. Il grossit donc, à mesure que le temps passé à écrire grandit. Ça devient gros, gros comme une maison que c’est un problème. Un gros, gros problème oui. Comme un camion.
C’est parce qu’on croise un tracteur, on se dit ça, c’est dans l’après-coup, non, c’est sous le coup du croisement, c’est dans le sillage, l’onde de choc — l’enfant assis auprès du grand-père dans la cabine du tracteur : « J’ai été ce garçon sérieux, réfléchi, étudiant la conduite du chauffeur. Je suis encore en majeure partie ce petit homme. » Et quoi ? « L’option de l’écriture n’est pas raisonnable. Par définition : elle ne se raisonne pas. Les choix d’écriture peuvent se commenter. L’écriture, elle, ne se justifie pas. Raisonnablement, je n’avais pas besoin de ça. J’ai créé de toutes pièces le désir que j’alimente. Mes jours l’ont alimenté, grossi. Je m’écarte chaque jour un peu plus de l’âge de raison. » L’on se dit : « Je m’écarte avec les jours toujours plus de l’âge de raison ».
« Je m’écarte tous les jours plus de l’âge de raison. »
Ça dit encore : « À l’âge que j’atteins et avec tout ce bagage, ce poids d’écrit non publié qui n’est pas derrière mais, oui, toujours ferme devant moi, où il me faut jouer des coudes pour avancer si peu et sans voir grand chose, la question de mon impossibilité à me dire ou faire auteur — et c’est comme une impossibilité d’existence — ne peut qu’être la question centrale à un projet littéraire sérieux, si cela est encore d’actualité ». La question aigüe… « Éluderai-je longtemps encore la question de mon empêchement ? »
Pas de livre sans ça, donc — l’intégration du problème : « Je ne suis pas l’auteur de ce que j’écris ? Comment ça ? J’en suis le sujet. » L’écriture (vécue) comme un stigmate. « Je me rends compte — il a fallu que je le trouve dans un livre — qu’écrire est depuis longtemps et de plus en plus exactement cela pour moi : être planté devant une clôture. Être, planté ou pendu, à une clôture comme un idiot. »
Qu’est-ce que vous voulez faire, plus tard ?
C. Laurens
Ya que j’adore votre texte ya que j’ai bien ri aussi ya des bravi qui se perdent. Oui ya que au pluriel on dit bravi même si ça ne sonne pas. ya que c’est chouette un escargot dans le roman. Ya merci pour ce moment passé dans votre jardin.
Touchée en plein coeur par les Il y a, par les images, par l’interrogation de la fin, touchée beaucoup, merci. Continuez à écrire, c’est si beau même si l’écriture…ça interroge !