Anna Jouy | Je vivrai

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L’AUTEUR

Anna Jouy travaille en Suisse romande dans un Centre de formation sociale et professionnelle pour jeunes femmes en grandes difficultés. Rester en contact avec la réalité du monde pour ne pas se perdre, tenir le fil tressé des autres lui semblent important pour rendre acceptable et vraie sa démarche d’écrivain.

A débuté par l’écriture de pièces de théâtre et de 3 polars de proximité, tous bien ancrés dans sa région. Surfaces variables du vécu pour assolement de paroles.

Publie son premier recueil de poèmes à l’initiative de la revue Décharge. 2008. Deux recueils aux Ed. de l’Atlantique. Agrès Acrobates en 2013 aux Ed. p.i sage intérieur/ Dijon.

Attirée et convaincue par les offres et la littérature sur le web, elle tient blogs depuis 2009. En usant d’abord comme terrain d’écriture et cahier de brouillon, elle apprivoise petit à petit les particularités et possibilités de cette forme d’écriture.

Son site personnel Mots sous l’aube est pour elle le lieu d’expérimentation d’une expression qui se déploie dans la verticalité des jours et des heures, le fil d’une parole qui se montre vivante malléable et mouvante. Un journal poétique.

Contact via Twitter : @AnnaJouy.

LE TEXTE

Je vivrai est un récit par étapes, journal peut-être encore, qui met à plat ces moments où l’atteinte d’une perte essentielle modifie le rapport que l’on a avec l’écrit.

Je vivrai, où quand la vie lui coupe la parole, le flux coulant de l’imaginaire et l’entasse et recroqueville dans une anse du fleuve…obligée qu’elle a été de prendre contact avec la poésie, alors que plus aucun récit ne pouvait se poursuivre. Séjour crucial en beauté qui allait maintenir les mots à sa bouche tout en cherchant salive au fond du puits.

Ce texte se place aussi dans un nouveau contexte, puisque Anna Jouy espère revenir bientôt au roman, au fluide et à la verdeur de la prose.

 

[1]

Voir le jour se lever, lui et puis le suivant.

Et le temps varier, alors que rien en moi ne varie. Alors qu’à chaque instant, dans mon sang, un inexplicable manque de l’autre, qui nourrissait ma chair sans le savoir, sans le vouloir non plus.

Jour après jour, et cet exploit d’absence.

Force tumeur

Amputée de recouvrement.

Je marche, je marche des heures de temps pour nouer mon cercle à quelque chose, pour faire tenir le matin avec le soir. Sur le paysage de mon corps, sur celui de mes yeux, rien que le temps, qu’il faut écraser, minimiser, qu’il faut faire disparaître et qui finit par ne plus être, tant hier est désormais pareil à demain.

En jets, les déposes de mots, de révolte, l’angoisse me serrant de toutes parts. Je rase les murs, ceux de l’ordinaire, ceux de l’aliénation

Et toujours la souffrance dont je ne saurais dire le siège, ne saurais pointer le centre.

Tout mon corps expie.

Je reviens de Canaan. Du miel et du vin. Je rentre du soleil, du vent et de la pluie secrète tombant des herbes et des bouleaux. Je rentre mais le monde s’est fendu sous le poids du bonheur.

Chaque instant est mise à vif des fissures de la terre. Je racle, je récure, je dessale mes blessures, je ponce les bourrelets de ma brûlure, sans jamais m’arrêter, rouvrant les plaies à chaque fois pour ne pas me noyer dans les rebonds de chair que ma peau ne cesse de reconstruire, par instinct de survie.

Respirer, respirer en rythme en cadence, respirer pour ne pas oublier de le faire, selon un plan fixe. Rejoindre la nuit à chaque instant trop lourd du jour. Fermer yeux, fermer esprit et partir, envahissement de cerbères et de nains ricanant.

Je dois, je dois… Je dois.

Et tandis que je coupe les liens des prisons, je scie pareillement la main qui me retient au monde.

 

 

[2]

Ai ouvert la porte des molécules, des pores et des soies. Et l’odeur, le flux des cataractes du souvenir…

L’archéologie suave de l’homme, la finesse et la texture de fougères et de mousse poussant encore sur ma peau. Suis au centre des eaux, eau parfumée et nectar de lui. Y a-t-il en nous des fleuves comparables ? Qui sait quelle mêlée parfume mutuellement les êtres qui s’aiment ? Alchimie des liqueurs

J’atteins les cratères, ces vasques sculptées de poussières, de cendres, amalgames de feux, de roches et de bois, tous pétrifiés désormais du lien humide dont je suis sortie. Sous la terre, sous le pas battant de qui danse, les ossements d’esprit, le cartilage des sens, le sang rugueux de l’ocre et de la sciure.

J’étais vive et je suis ammonite, enroulée sur son passé.

 

Je me souviens, réserve de petits fruits rouges, le cœur et la joie. Ballons rouges des puretés de l’enfance, ballons du jeu, ballons de foot, de basket à mettre au panier. Je pose chaque mot comme un ferment. Bascule dans la balance des feux d’Est en Ouest, irrémédiablement. Amour donné, jeté d’une part de la Terre, à l’autre du Ciel.

Que devient l’astre si ce n’est d’éternellement fondre ? Et tandis qu’à ma mesure je me dis que tout recommence jour après jour, la vérité est une incessante variation et modification.

Jusqu’où ?

 

[3]

Je ne me souviens plus et je tache le ciel des blancs de ma mémoire. Plume sympathique pour qui saurait lire dans cet azur les résidus d’écriture, le sel blanc de ce que je transpire. Mon désir, ma peur, mon avidité, ma sueur…

L’étendue de l’air est mon cahier. Je mesure pourtant l’impuissance des mots. Tout ce que je spécule très fort, viendra-t-il un jour ? Conversations intérieures. Le monde de ce jour est fait de cils et de chagrin. Il y a bien d’autres yeux, ceux des soupes froides, ceux des ailes de papillons, des fleurs carnivores et des pistils tendus.

 

[4]

Incertitude. Ferment de tristesse, cette incongrue femelle du nuage.

J’aimerai, un jour. Libre je suis de n’être personne et puis rien. Tout également.

 

[5]

Le basson redessine le sol, le violon son ciel. Entre eux, ma voix simule des cris de joie et la dépendance physique de Newton, des montées de vapeur et de la poussière. Et la cendre, la poudre de feu écrivant sur les plis de mes mains.

Alors s’inquiète en moi la femme qui se meurt. Tandis que s’hypertrophie l’esprit, la folie qu’il contient, pour mieux me garder dans mes dimensions ordinaires.

Moins d’amour, alors plus de cervelle. Cervelle blanche, matière molle. Imperceptible substance dont on mesurera en encre le degré de consistance. Ailleurs, on prend l’aune de l’éternité en baisant et moi je me condamne à mourir pour quelques mots qu’on ne me donnera pas. Irréflexion totale lunaire. Ma nuit est derrière mon regard, à la porte de mon cerveau. Le jour ailleurs glisse vers et s’ouvre.

Écrire.

Chaque soir, le ciel se couche et je suis dedans.

Fabrique de fiel que ce corps abandonné. Je vivrai, je serai seule.

Avoir, donner, faire confiance. Le masque tombe sans pour autant vous montrer une face humaine. Derrière un autre loup. 

 

[6]

Ne reviens pas. Ou alors cesse. Cesse de fuite. Cesse de silence.

Mon dos se creuse jusqu’à l’inexistence. Juste dire. Agir comme des humains, être encore un humain ?

Épaisseur de l’air quand je respire entre. Épaisseur de la nuit, lourdeur des sens abrutis. Ni le chaud ni le froid, ni surtout l’humide.

La scie obsessionnelle d’un violon. Loin, une cloche. J’imagine les plaines, j’entends ces silences terribles. Dans Pärt, la fermeture, une bulle et l’épaisseur de la vitre.

Contemplation cinématographique ; description « d’une description » paysagère dans laquelle aucun humain. Déconnexion de l’envie, du rêve. Une autre vie, distance frigide d’avec le monde.

Ruine, quel beau mot pour ce que je suis. Ruine comme une forteresse prise et mise à sac. Dans les poudres compactes de nos particules assemblées jour après jour, il n’y a rien.

Un instant, pétrifiée de soucis, de rires moqueurs, un instant, glacée de mépris, l’âme ne sait plus de quelle pierre elle est faite. Le regard laser en avait dégagé ondes et résonances.

 

[7]

Retour sur ma planète. Je n’y reviens pas intègre. Plus cristal encore, glace et papier. Prête à l’éclatement si un son trop violent.

Que l’amnésie me vienne, que mon âme reprenne sa route J’accumule des grosseurs de bulles et d’eau à la gorge Qui pourrait m’intuber ?

Quand je reviendrai du pays des mots, je saurai ce qu’est l’éternité…

Quand nous serons absorbés de silences, seule l’humidité de nos lèvres se posera sur la pierre pour s’évaporer aussi vite sous le soleil…

 

[8]

Me percevoir, matin au soir, dans une phrase, une secousse de mots… rupture.

Ne plus penser qu’écrire et non me dire. Déterrer hors des surplus, des overdoses, une méduse morte 

Dans quelle vie avez-vous été moi ? Dans quelle vie avons-nous croisé le fer et le chemin ?

Retour à l’interne. Réduction culinaire des sensations jusqu’à l’extrême, à l’essence. Distillat de sueurs, parfois de sels, sans plus les accrocs des pierres, sans les calcaires et les limons. Et arriver au rien où tout s’évanouit.

Puits à coutures, tout fil, tout passant. Puits filtre et bac à cendre. Le gâchis finit par devenir colle et se fixent pour toujours les ultimes pensées.

Résidus : j’ai cherché à demeurer mais je passe au travers. Je glisse. Le bleu moire et sculpte les nuits. Le blues y trafique les puzzles du rêve et de la déception.

Il suture les lèvres de broderies, de poings, de croix, de boutonnières, suture jusqu’au reflux gastrique afin que mes mots m’empoisonnent de faisandages. Attaque d’acides silences qui gravent des rides sur la peau de l’eau, arborescence de givres fixée à l’épine dorsale. C’est le trapèze des mots qui soutenait ma tête, muscle langagier opportun à museler l’imbécile. J’empile des termes, une brique à l’endroit, une brique à l’envers jusqu’au flaconnage.

Parole, mot verbe… le sexe sans le dire n’est pas. Le doigt à la plume tremble au prolongement de l’être. Le doigt à la plume, c’est le frisson battant le rythme secret, pointant un ongle sous la paupière, le soleil d’ailleurs s’enfonce jusqu’au sang, farfouille de cervelle, éclats de saison percutant le tissu de mémoire.

Simple tatouage de la pensée laissée par l’autre en héraldique, en généalogie d’hier, d’aujourd’hui et demain.

 

[9]

Traits posés sur la neige. Écrits sur la page glacée. Dire que c’est ce noir d’encre qui fait la lumière… Traits posés ; trans-figures à peine ouvertes dans la béance d’une neige fondante. Des mots pour la vie, pour la vue. Semis de sens en scène sous une main légère, une plume d’ange. Que de tentatives, d’esquisses fragiles de langage intermittent. Sous le froid, les plaques urticantes de ce qui est ma vanité…écrire pour la fonte.

Sortir de mes images, de ces pareilles thématiques qui longent, vagues, forêt et lumière jusqu’à ce que viennent à moi les pierres, le lierre des bétons et les papiers gras des cités sans anges. Que viennent à moi le crépuscule rougi d’un étranglement d’oiseau et les hoquets des grilles qui clôturent les résidences.

Les passants d’éponge effaçant les précédentes ombres avant que de se lécher à leur tour, les passants d’un bord à l’autre en échassiers de caniveau, les passants funambules de néons accrochés ou défaits à l’entracte de ces soleils artificiels, les passants de l’indifférence et moi en voyante, séductrice d’artifices à mettre au filet de son œil de khôl. Mes lèvres roses cousues d’épigrammes sifflotent la venue de ces images, des couleurs et de tout ce fugitif.

Tranquille. C’est ce qu’il me faut être.

Comme la pluie qui baise les herbes et les roseaux. Si peu d’eau qu’un vent la chasse jusqu’à l’horizontale.

Tranquille du souffle du crachin, un tulle de bulles.

Tranquille squelette à la patère ; à demi mort à moitié pendu. Dansant en simiesques grimaces le pas de deux de lui avec sa fin. Squelette à sa patère, incapable de vivre et encore moins de mourir. Sa lance le porte, l’épingle à son poteau et tient derrière lui, un tuteur d’acier. Soubresauts. Spasmes. Hoquets.

Extraction mot à mot des salpêtres, dans les couloirs viscéraux, suintant le long des anneaux de chair et de cartilages du pharynx. Goutte à goutte, nébuleuse de la parole, habitée de bulles de salive. Ni musique, ni chant, ni souffle. 

Tandis que mes chairs se tendent vers la lune et l’étoile, mes mots tombent comme des jets de pierre. Ils alourdissent mon ventre et l’ancrent sur le sol.

 

[10]

Chaque battement d’ailes, une griffure. Où es-tu ?

Le barbelé qu’il y a jusqu’à l’autre - j’en ai la langue épaisse - et qu’au delta des désirs se noient mon verbe et sa couleur blanche.

Mes mots sont des algues qui se nouent aux cheveux et font à l’air le bruit du vent. Où es-tu ?

La bouche boit ses pierres et ses agates noires. Emprise de sortilège.

Attendre en bouchon de plastique pour sauter au flux d’une chaleur humaine. Où es-tu ?

Chaque regard trie le bon et le bien et enchâsse des sentiments comme des poissons à sécher sur un fil.

Faux oiseaux, faux papillons mais si véritablement vers à mouche. Où es-tu ?

 

[11]

Et voilà le mur blanc du dimanche, celui qui monte au ciel.

Nuage de pierres sorti des âmes tristes. « Ne dis qu’une parole et je suis à ta merci ». Dimanche, jour des airs et ceux qui montent de la chaire n’étouffent pas les miens, ma mort et mes descentes intérieures. L’esprit à la névrose. Traumatisme de l’ailleurs, traumatisme de l’autre temps. Que quelqu’un dépose sur mes genoux l’absence. Qu’il extraie la saumure du désert.

Poésie de chiotte, de visqueuse dépose, dégurgitée. Mal de l’informe, ces absences.

Qu’y a-t-il à faire et quelle part grosse de mon âme je vais avorter là ?

 

[12]

Je suis plus belle que je ne l’ai jamais été. Deux heures passées dans ma maison à faire ressortir de moi le beau qui en était parti… Resurgir du masque de boue. Prendre gouge et retracer le chemin dans les plâtres et les cailloux. Quelle importance que de savoir ? Taire plutôt ces réclamations de droit et de devoir. Qu’importe qui tu es et ce que tu penses. N’y a-t-il pas plus important que de chercher ces trames intérieures qui auraient pu nous tenir ensemble ?

 

 

[13]

Dans les feuilles mortes de la forêt. Ces étendages de blondeurs et de bruns émiettés comme autant de post-its sur ma route. Marche et marche encore, suivant le marquage en sous-main d’une route illisible. De tous côtés, les vides ou les interminables murs de calcaire des gorges. Je marche et marche encore, sifflotant un air de courage et de trouillasse dans l’épaisseur du Gottéron.

Que devenir dans ces perspectives sans nom, dans ce conduit obligataire ? Pas un bruit, seul le torrent plus bas. Il n’y a aucune vie, personne. Et soudain, le vol d’une aile juste devant moi, si proche et si fuyante à la fois, partant vers le fond de l’image. C’est la mort qui monte de je ne sais où, qui vient me prendre. Ma peur est si palpable, accrochée à cette légèreté d’animal. L’amour perdu est donc là s’éloignant dans la transhumance.

Je prie, je verse des chapelets de poèmes. Contrecarrer le plan. D’entre toutes les femmes et d’entre les épices de cannelle et de vin qui sortent de ta bouche… je veux vivre.

 

 

[14]

Comment est-ce venu ?

Ria de paroles... Pareille eau, pareille à la pluie. Rien d’autre à expliquer.

La poésie pour oser la vérité. M’en tenir à cet espace, me retenir entière à la poésie et survivre.

Les mots ont pris le relais des poumons. J’ai battu le centre éruptif de mon corps, sachant qu’il est bien vain de contrarier le cours de l’eau qui tombe.

Boire. Revenir simplement de l’aride, à l’envers de toute logique, à rebours d’aiguille.

Comment est-ce venu ? Me poser la question jusqu’à ce qu’elle cède, qu’elle s’habitue à moi, qu’elle s’amadoue, et devienne lionne dressée. Ressasser ce pourquoi, ce comment, ce à quoi ça sert-il… pour tenter de ne pas perdre pied ou raison. Sans cesse revenir à la charge et s’attendre à chaque instant à ce que quelque chose vacille, que la terre se mette à vaciller. Rabâcher, ressucer, régurgiter la question et en prendre plein les gencives pour la souffrance que ça fera à défaut du bien.

Oui. Comment est-ce venu ? Qu’y a-t-il de bon dans ma résurrection ? Et que dois-je voir ou entendre là, alors que tout me conduit à la modification et paradoxalement m’isole et me ceinture d’une claustration mortelle. Comment m’est-ce venu d’écrire ligne après ligne les virages, le chemin, les bordures, les panneaux indicateurs du sens, les bas-côtés, les nids de poule de la route ?

Comment m’est-ce venu de laisser vibrer la corde du lien, de la suivre en train de me nouer à lui, de me serrer autour de son corps comme un fil de pêche et d’emprisonner en ligne, l’amour libre ?

 

[15]

La négation, ne pas, ne plus, ni et ni encore…

Mettre dans une parenthèse, la vie qui s’est ouverte et puis, comme on presse la touche delete de son clavier, lui ajouter cette locution négative. Pour en faire un lieu de vide et de désespérance. Une amnésie surgie dans mon espace. Il y a eu quelque chose mais je ne saurais plus même dire de quoi il s’agissait. Un coup de gomme a tout fait disparaître. Pire encore… il n’y a rien que je pourrai réactiver, que la mémoire pourra me ramener. N’aurai plus accès à ce qui m’a tellement chavirée. Une anecdote ? Un trouble passager ? Parchemin plutôt.

L’épiderme sur lequel ma vie forcément devait s’encrer. Je le savais existant, respirant incidemment sans moi. Et je quêtais avec violence et la peur au ventre cette voie à écrire.

Savoir qu’il ne peut y en avoir d’autres. La vie passera, comme elle s’enfuit maintenant déjà. Les pages se tourneront plus vite, le livre n’intéresse déjà plus autant, la fin est si prévisible.

Mais chaque jour pourtant, je tenterai de soulever le voile du souvenir. Je viendrai me promener sur mes pas, à la recherche de ce que j’ai perdu. Je serai le visiteur de jardin, le promeneur de chagrin, le regard au sol cherchant un éclat disparu.

[16]

Le silence vient, s’épaissit. Il enrobe de sa morgue, de son insouciance mon monde. Cocon épais et solide, sarcophage de transit d’un état de patience à un état d’oubli et d’abandon.

Silence dans lequel se tournent les scènes de rupture. Silence des fonds d’église, des cryptes. Silences des diagnostics douloureux. Silences des fins de morceaux, des nuits sans sommeil et sans amour non plus.

Silence des hôpitaux, des repos éternels.

Silence derrière lequel s’abritent l’ennui, l’irrespect sûrement. Silence définition. Silence dont parfois j’entends dire qu’il est communication, qu’il est plein, essentiel. L’indispensable respiration qu’il y a entre les notes et qui fait la musique et transforme le brouhaha en mélodie.

Les mots désormais s’enfoncent dans le sable des chambres insonorisées. Ils tombent plus lourds que plomb et même sortant de moi, ne frisent plus l’air d’une onde de transmission. Parler devient inutile, écrire pareil. La porte est fermée, définitivement close, inaccessible à jamais. Et dans ce silence verbal, les images elles-mêmes s’en vont et meurent.

Évanouie, la forme du visage aimé ; disparues, les traces sur la rétine ou la mémoire car toute évocation est inutile et impossible.

 

 



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1ère mise en ligne et dernière modification le 27 avril 2014.
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