Thomas Sancho Casnedi | Variations sur la vie d’un type

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L’AUTEUR

Thomas Casnedi, dit Sancho Sancho, vient de terminer, après et en parallèle d’autres aventures, le master de création littéraire de Paris 8. Ce n’est pas ici le roman Démembre qui est l’aboutissement de cette démarche –- mais par lui que j’ouvre ce nouveau volet de la revue : faire connaissance avec une voix, un univers, et –- si vous êtes éditeur –-, ne pas hésiter à le contacter, le plus simple c’est par son Facebook.

Je lui dois, toute une année durant, la révélation chaque mercredi d’explorations risquées, à la fois denses et fragiles, et cette capacité de risque pour moi c’est l’indicateur le plus solide : bonne route, l’ami !

FB

LE TEXTE

On l’a invité comme ça, pour inviter.

On se donne le boire pour se le donner.
Briquet sur bouteille pleine. Vidée.
Briquet sur bouteille pleine vidée.
Fume les poumons jusqu’aux doigts orange pour cause de
Le boire le boire encore.
Entendre les gens moches plus moches que les choses entendues.
Le boire le boire le boire.
Orange doigt cigarette dans la bouche roulée.
Le temps ne passe pas, les moches ne partent pas.
Se croiser plus moche dans le miroir, écrire l’inutile aux toilettes.
Le boire le boire encore.
On se gaspille les doigts dans le tarama, le manger de trucs qui remplissent moins, moins encore que les choses les gens moches.
Entendre entendre, fumer cinq euros du paquet.
On rigole, merde.
Rigole avec les gens, merde.
Et le reboire le retoilette.
Le dernier métro, merde.
Et on chante, rechante dans l’attente du bus de merde.

Le lendemain, c’est la merde qu’on se sent pousser partout dans le corps partout.
Dégueulasse.

Parce qu’une douche nettoie pas l’intérieur du type, se gargarise avec l’eau en bouche ouverte, le shampoing qui coule le long du visage sur le nez trop gros trouvé, le visage trop sale même si une douche se doit d’arranger et les choses et les idées à remettre en place. Des migraines toquent au front.
L’eau coule d’abord chaude, vite froide du ballon d’eau minable en face.
Il se sent foireux le type du lendemain de soirée.
Il sent qu’il n’arrivera à rien parce que ça lui est retombé dessus comme ça le fait toujours avec les soirées pour vendre de l’éphémère de la poudre dans les yeux dans le nez quand il y a à prendre, et pour se sentir comment après ?
Migraineux.
Foireux.
Foireux dans sa vie de pas grand-chose à voir défiler le cortège de réussites des autres, plein de gros ballons, de lendemains faciles et que ça reparte comme si rien ne s’était passé.

Il a lu dans un gratuit que plus on est pauvre, plus on fume alors il se retient.
Pourtant il lui reste des clopes dans le paquet.
Pourtant il a réussi à les épargner de la soirée, des taxeurs compulsifs, des promis je te la rends. Il a épargné et il en a envie là, besoin là. Déjà, il se voit les doigts fouiller dans la poche, porter à la bouche, allumer avec ce qu’il faut pour. Il se trouve bien pauvre le type à tirer dessus, malade, avec une gorge achevée de la veille.
Il se sent foireux le type à ne rien ressentir.
Il prend son portable et il écrit :
C’est quand on commence à ne rien ressentir qu’on commence à ressentir le foireux.
Il la trouve longue la phrase, longue d’une philosophie de lendemain de soirée de merde. Il l’efface la phrase, il la garde en tête un peu pour la faire tourner dans tous les sens, pour essayer de se l’imprimer, de la glisser dans un coin au cas où. On fait bien de ressortir des phrases, parfois.

Il ne ressort jamais rien.
Il télécharge des applications de rencontre juste pour
L’amour, il lui crache sur le dos jusqu’à plus salive.

Il regarde des films en anglais, sans sous-titre, ça pourrait bien servir, un jour. Il ne comprend rien à l’anglais mais il éparpille les words de par tous les sens dans des conversations, l’air du temps. Ils les mâchent pour sonner real.
Il se sent foireux le type à ne rien comprendre, à mâcher des mots tout seul dans son sale home piteux.
Alors appli de rencontre, heures passées avec les mouvements du doigt, à ne rien trouver de mieux que
Pour s’endormir ko, vaincu accablé par le néant de sa minuscule vie de type.

Il a acheté un costume tout neuf tout beau tout petit. Trop petit. Commandé sur internet. Il l’a brûlé dans un jardin. Ça lui arrive parfois, ses petites crises d’humeur maussade.
Alors il fume parce qu’il se sent bien pauvre, le foireux.

On se transporte en commun.
Se respire l’aisselle le nez collé avec les odeurs de journée, guette la main sur le sac, s’applique sur le cellulaire. On se serre tout contre et même si les gens, on leur crache dessus bouche fermée, ils vont où les gens à venir plein à craquer les rames de
Le freinage, l’arrêt, laisser descendre monter.
Le freinage, l’arrêt, laisser descendre monter.
Descend jamais autant qu’on peut voir monter.
Souffle chaud par les ouvertures, les effluves à presque rendre.
Il y a les mesdames-messieurs avec leur gobelet. Rien donner.
Les secousses à presque rendre
On s’empile tant qu’on peut.
On s’accroche à la barre commune.
Se frôle sur la barre commune.
Se transmet les
Sur la barre commune.

Veuillez nous excuser pour la
Et le type enfin assis à attendre le défilement, se croise dans la vitre rayée, le visage pareil.
Il a lu Perec alors il se tente un Épuisement sur le carnet sorti :

En face, une dame avec une coiffure pas nette /

Il se referme le carnet, il ne sera jamais écrivain il se répète jusqu’à sentir ses lèvres chuchoter. S’épuise sous fond de désaccordéon. Il parle de lui à la troisième personne, parfois.
Parfois.
Ça lui arrive au type.

Un serpent devient le meilleur ami de la souris donnée pour repas.
Il est resté longtemps en couple le type qui faisait une belle petite souris.
Ça lui a fait tout drôle de se voir recraché sur le pallier, digéré dix fois bien comme il faut.
Dix ans.
Dix ans qui font un paquet de douches tièdes, de films à moitié vus, de words.
Dix ans qui donnent de l’enlacement d’abord.
Sauf qu’à un moment, un serpent et une souris ça finit par

Séparation à se refiler les bibelots chinés.
Séparation à couper les poires en deux, puis les ponts quand plus de poire en stock.

Il a brûlé la photo la dernière qu’il lui restait d’elle et le doigt le bout de son doigt alors qu’il croyait pouvoir toucher son visage encore une fois. La photo d’identité partie en fumée dans le cendrier sur le balcon, fumée à piquer des nez, photo d’identité signée d’un baiser au rouge à lèvres rouge et d’un je t’aime, disparu tout ça.
Il a brûlé la photo mais les femmes qu’il croise
Toute les femmes
Portent sur le leur
Le visage, son visage.
Alors il a voulu brûler ce souvenir
Le dernier qu’il lui restait d’elle mais
La boîte d’allumettes était vide.

Ça lui façonne de drôles de faces d’y repenser. Et les migraines aussi. Il est bien bien faible le type et alors ? Il se les emmerde les autres qui pourraient penser ça en le voyant déambuler comme un pauvre vieux sans âme qui vive dans le regard. Souvent, il descend avec la nuit, se laisse porter par
Il remonte la rue de
Prend le bus vers
Observe les gens être.
Il s’assoit à des terrasses, prend un café, et observe. Il y a toujours un peu de Perec dans ses façons. Il sort le carnet le stylo juste pour se dire.
Il n’écrit rien, attend que le café refroidisse. Le café froid, il boit. S’en va se rentrer doucement par les noctiliens.
L’insomnie, sa petite guerre à se tourner se retourner se plier en deux en quatre huit seize trente-deux qui font un type bien loin de se trouver le sommeil au pied du lit. Il fait de lui une boule, il cigarette à la fenêtre, se donne de l’écran, se laisse aspirer pas malin, s’exorbite les yeux dans le sombre, tronche éclairée seulement. Discute sans discuter, ce n’est plus une heure à amis mais à contacts à racler au fond d’un pot.

Salut ça va tu dors ça fait longtemps
Message lu, sans réponse.

Well… Il finira bien pas lâcher prise, s’endormir le type.
On s’endort toujours quand on n’y pense plus.

Ce matin, quel matin, un matin
Il a pris le train
Direction un énième nulle part.
Vides sa tête et le wagon dans lequel il larvait.
Vide le wagon à l’exception
D’un homme assis en face de lui.
Un homme qu’il n’avait pas vu
Un homme qu’il n’avait pas voulu voir
Sans doute
Parce qu’il était
Le reflet de sa solitude.
Un homme qu’il n’avait pas vu, qu’il n’avait pas voulu voir parce que c’était lui cet homme.

Les chiens sont nos amis les chiens sont fidèles et loyaux méfiez-vous des hommes, pas des chiens.
Le sien portait le nom d’un célèbre dictateur, était adorable, n’aurait pas fait de mal à
Les mouches, il leur courait après, le chien-au-nom-d’un-célèbre-dictateur.
Il aimait les fruits surtout le raisin blanc qu’on lui servait dans la gamelle, grappe après grappe.
Puis, un jour, on a retrouvé la grappe intacte et le chien-au-nom-d’un-célèbre-dictateur mort dans le jardin. Indigestion. On l’a enterré pas loin.
Le type n’a plus jamais mangé de raisin, question de traumatisme. N’a plus jamais eu d’animal pour la compagnie, même raison. Il regarde des documentaires animaliers qui se passent dans des savanes ou des forêts tropicales en mangeant des pâtes à même la casserole.

Son frère, il y pense moins qu’au chien.
Pourtant mort aussi.
Pourtant on lui laisse toujours une assiette lors des repas de famille. Assiette qu’on remplit puis qu’on vide dans la poubelle, à la fin, sans un mot. Le rituel d’une mère.
C’était le frère qui léguait ses habits trop petits
Le frère de la morale peu crédible
Ne fume pas, jamais, cigarette en bouche
Bois avec modération, bouteille à la main.
Le frère grand, beau.
Le frère plein de réussites derrière et devant.
Le frère mort, peu de temps après le chien.
Le frère dans le trou rebouché au bout d’une allée au bout d’un cimetière au bout du village des enfances sans projet de mort. On vient changer le bouquet, chasser la poussière du revers de la main. Le type, ce n’est pas son truc, les cimetières. Il préfère voir son café refroidir au fond d’une tasse et les gens passer qui

C’est une ville ici ou ailleurs. C’est une ville dans laquelle il y a des gens qui croisent d’autres gens qui s’entassent dans des endroits remplis de gens, des endroits plein de gens immobiles ou de gens en mouvement, des gens qui attendent, des gens qui ne font rien, d’autres gens qui font trop de choses, des gens qui boivent avec des gens servis par des gens payés pour servir ces gens et les autres gens aussi, des gens qui passent devant ces terrasses et il est l’un de ces gens qui marchent au milieu des gens, derrière des gens, devant des gens et il a un visage aussi comme tous les autres gens mais personne n’y fait attention.
Ici comme ailleurs.
Tous les gens s’en foutent de ce à quoi peut ressembler son visage.

Une consommation excessive de nouilles en sachet entraîne une calvitie précoce.
Il y repense en finissant son bol.
L’énième de la semaine.
Se sent le ventre plein de culpabilité et de poudre chimique arôme poulet curry.
Se passe une main anxieuse sur les cheveux, se scrute les recoins dans le miroir.
Pour se faire une boule à z, finalement. Il se plaît bien comme ça, se trouverait même mieux comme ça, se prend en photo, met à jour ses profils d’applis.

Il se dégote un date.
Ne pas penser au chien-au-nom-d’un-célèbre-dictateur mort.
Ne pas penser au frère-dans-le-trou-rebouché mort.
Avoir l’air naturel.
Donner une chance au hasard et ravaler les crachats.
Il s’habille pour l’occasion, le type.
Lustre le crâne pour l’occasion, le type.
Parfum, bain de bouche, déodorant. S’apprête bien comme il faut.
Ne pas faire foireux.

Alors il vérifie une dernière fois son intérieur, claque la porte, dévale les escaliers, sort dans la rue, pense à une cigarette, se ravise. Il prend un bus, arrive au café, trouve une table libre, attend.
Il est en avance alors il attend.
Elle est en retard alors il attend.
Les tables changent de clients et il attend toujours.
Elle ne viendra pas mais il attend quand même.

Il commande un café, sort son carnet son stylo.
Lance un ultime regard autour et écrit :

Variations sur la vie d’un type

On l’a invité comme ça, pour inviter…



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1ère mise en ligne et dernière modification le 17 septembre 2017.
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