[vidéo] nombres (de zéro à onze)

et ce fut UN


Ce matin, je mettais en ligne le texte ci-dessous, un peu déboussolé de découvrir par Internet deux échos critiques amicaux d’un livre auquel j’ai participé, mais pas encore reçu ni lu. De quelle réalité ces échos témoignent, que nous en rapportent-ils ?

J’étais passé de ce point de départ à quelques questions : un livre d’expérimentation, la démarche ouverte d’un éditeur peut-elle se passer de l’accompagnement Net ? Y a-t-il même désormais un service minimum de la présence Net pour l’existence d’un livre ?

Alors plutôt la main à la pâte : je ne mets pas en ligne mon texte, puisque cela appartient à l’éditeur. Mais j’en propose la lecture audio, toute simple toute brute, depuis l’aéroport de Québec, dans cette demi-heure qui me reste (incroyable, la facilité et la rapidité YouTube).

À vous, les onze autres, votre version lue ? (veux bien mettre en ligne, Emmanuel, Eric, Marc/Martin et les autres, si vous me faites passer fichier vidéo ou audio...). Donc, pour ma part, ce que je fais sur « UN », tel qu’intérieurement entendu, et sans répéter ni refaire :

 


Nombre (de zéro à onze)

 

Un livre paraît.

Un livre donc auquel j’ai contribué. Mais de plus en plus, basculant dans l’univers numérique, un livre qui ne s’accompagne pas d’une démarche virtuelle me semble une sorte d’irréalité, presque relevant d’une situation injuste – ce n’est pas de ce côté que j’ai désormais l’instinct, l’envie, le plaisir d’aller chercher ce qui me concerne dans la relation du langage au monde.

Donc, un livre paraît.

Voici donc un objet Internet malgré tout : deux textes, à la fois découvreurs, interrogateurs, généreux de Fabrice Thumerel dans libr-critique, un texte de Ronald Klapka dans poezibao, l’annonce de la parution de Nombres, de zéro à onze chez Biro éditeur.

Ainsi, par Internet, est signalé, amicalement appuyé (critique non requise ni sollicitée, librement exercée par les intervenants) un livre qui entre lui-même dans un processus commercial, frais de fabrication, diffusion, et rétribuera les différents acteurs de ce processus, auteurs compris.

Un livre paraît.

Je peux attester, n’ayant pas vu ni reçu ni touché l’ouvrage, qu’un matin d’octobre, à la proposition très étrange qu’on m’avait faite d’écrire 1500 caractères sur un nombre de 0 à 11, et ayant décroché au tirage le UN, qui est aussi article, qui est aussi monade, dans mon heure matinale de TGV Tours-Paris au moment de répondre par e-mail que vraiment je ne saurais pas faire cet exercice je l’avais fait, que je m’étais composé en HELVETICA 24 une mise en page parfaitement carrée et ajusté le texte pour qu’il réponde aux critères de signes demandés.

Un livre, et exercice virtuel proposé : vous disposez via Ronald Klapka et Fabrice Thumerel de la consigne et d’une image subjective des autres textes de l’ouvrage, rédigez le vôtre.

Poussons la question : hors le plaisir réel qu’on a à l’originalité d’une telle commande (et même, fait qui devient rare : qu’on nous sollicite pour un exercice d’écriture), et le plaisir réel que j’aurai évidemment à découvrir les autres contributions quand j’aurai reçu le livre, quelle viabilité – non pas économique, je souhaite le meilleur à Biro éditeur pour sa diffusion – mais esthétique : c’est-à-dire pourquoi on écrit et qu’est-ce qu’on veut de nos textes, où s’en iront-ils à leur tour, par rapport à cette progressive dé-virtualisation du Net, le fait que les enjeux politiques, esthétiques, et la véritable circulation de la langue, quand elle expérimente, s’essaye, maintenant c’est ici sur le Net ? Et comment, pour que le livre existe, non pas en tant que tirage ou réalisation, mais existe par sa circulation, son effectivité, se dispenser de lui adjoindre nativement version virtuelle de l’exercice – imaginons qu’à chaque auteur, en parallèle de la livraison des 1500 signes sur le nombre, on ait demandé bref texte sur comment il avait réagi, écrit, et idem pour les plasticiens qui accompagnent l’expérience, et que ces matériaux, ou pourquoi pas, rien qu’une photo de la table de travail, ce serait l’ancrage Internet du livre (ou pourquoi pas, en accompagnement du livre papier, un espace Internet collaboratif d’écriture comme les 807 accompagnent L’Autofictif d’Eric Chevillard, qui participe aussi à Nombres) – est-ce que la diffusion même ne s’élancerait pas sur une autre base ?

Ou bien, de notre côté, les auteurs, est-ce que la bascule en cours ce n’est pas comment la publication sur Internet n’est pas une finalité en soi, esthétique, poétique, politique tout aussi bien, et ne trouve pas via le Net son espace mûr de publication ? Qu’est-ce qui fait, intérieurement, pour tout ce que je place dans le mot écriture, c’est ici désormais que ce laboratoire je souhaite l’exercer ?

Et question symétrique, lorsque Fabrice Thumerel et Ronald Klapka, et les webmasters qui leur offrent espace (Florence Trocmé pour poezibao et Philippe Boisnard pour libr-critique) exercent leur approche critique, généreuse puisqu’elle sert de repère, décryptage, prescription et signalement (on peut supposer que la presse littéraire traditionnelle ne va pas mettre les bouchées doubles pour ce genre de travail : en tout cas, la critique littéraire c’est désormais via les sites qu’elle s’exerce d’abord, ou le plus efficacement, pour le contemporain en tout cas), est-ce que leur travail même n’aurait pas une dimension supplémentaire s’il n’était pas de désigner à distance un support qui ne s’établit pas en partie dans le même espace ? Avec pour corollaire : quand Thumerel et Klapka ajoutent à l’ouvrage par leur intervention questionnante, comment se dispenser, sur la page éditeur de l’ouvrage, de signaler, répercuter ? Ce qui renvoie à l’approche Hubert Guillaud du livre numérique : quand l’apport critique enrichit et augmente la démarche, l’identité numérique de l’ouvrage c’est la façon dont tout cela s’assemble (le site éditeur pourrait indiquer aussi nos propres sites, puisque – fait notable – quatre des intervenants au moins ont un site : Chevillard, Pierrat, Winckler et moi-même), et nous changeons de paradigme. On ne remplace probablement pas le travail graphique et la conception typographique par le support virtuel seul (même si là aussi se désigne un espace particulier, celui que de plus en plus j’arpente), mais, même pour un objet d’abord typographique sur support papier, ce qui définit l’objet même, en l’occurrence sa présence Internet via l’accueil de poezibao et libr-critique, ne se résume plus à l’existence papier.

Et questions qui se prolongent. À quoi ça sert : du livre comme dépôt ou achèvement de la forme – et ici, sur le Net, la circulation elle-même périssable. Qu’est-ce que le Net, pour un exercice pluriel écrivains & artistes, n’aurait pu confronter – appelant d’autre part à l’écriture ouverte et contributions site, que le livre saurait disposer, et où et comment, le livre, circule-t-il, et pour combien de temps lui aussi ? Corollaire : l’intervention critique, dans poezibao ou libr-critique, se serait-elle exercée de la même façon si l’objet avait été seulement virtuel, ou s’exerce-t-elle depuis l’autorité symbolique encore attribuée au livre ? Et autre corollaire : si le temps de préparation et de lancement d’une telle réalisation graphique est approximativement de 10 mois (probablement 1er mail reçu vers mai dernier, texte envoyé en octobre, épreuves en janvier), est-ce qu’aujourd’hui j’accepterais comme il y a 10 mois l’exercice : qu’est-ce qui s’est déplacé durant ces mois, ergonomie écran d’un côté, circulation matérielle de l’autre, et de la relation qu’entretiennent les deux univers ?

Questions donc. Juste questions. Et si la démarche expérimentale que nous tentons de notre côté, avec des objets numériques comme la parution du n° 2 de D’ici là, est bien sûr notre volet de la réponse, elle est multiple, se cherche tout aussi bien.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 21 mars 2009
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