curiosités numériques : Flipboard

la lecture numérique est un paysage mouvant, enjeux de l’éditorialisation des flux


Il faudrait que je rassemble en rubrique les petites indications données ici sur ces expériences numériques discrètes qui résonnent pourtant avec notre rapport à la lecture dense et la déplacent dans notre rapport à l’écran. Ainsi, il y a quelque temps, le petit plug-in TextArea qui évite de perdre – comme trop souvent arrivé à tout un chacun – un bout de texte lorsqu’on rédige directement en ligne, sur son propre site ou en commentaire d’un autre : non pas comme rustine ou roue de secours précieuse, mais parce qu’il y a bien pour nous tous une spécificité à l’écriture nuage, l’écriture directement sur site et non pas mise en ligne d’un texte préalablement écrit sur l’ordinateur.

Ainsi FlipBoard. A priori, sujet qui n’intéresse que les possesseurs d’iPad, soit une fraction très limitée des usagers du web, et on voit de suite venir les critiques. Pas facile de mettre 500 piasses, comme disent les amis québécois, dans un gadget de plus – sauf si ledit gadget, à l’usage, se révèle changer votre rapport à l’ordinateur et à vos usages les plus personnels où le créatif, le privé et l’ouverture au monde se superposent : avec l’iPad, plus besoin de se mettre à l’ordinateur, on a le web à portée d’oeil là où on est, et non pas comme avec ces canifs à tout faire que sont devenus les téléphones, mais avec une rapidité et une réinterprétation d’affichage qui casse toute hiérarchie entre site, magazine et livre. On pige bien ce que va changer l’arrivée des tablettes concurrentes, mais au moins on peut commencer à travailler sur cet espace. Pour notre équipe de publie.net, notamment, reprendre les fichiers epub qui chacun ont l’âge de leur création, et hisser le catalogue à l’exigence de ces nouveaux outils, où plus de différence dans le niveau typo d’avec l’expérience papier – en 4 mois quels changements, encore une montagne à déménager à la petite cuillère, mais c’est la condition pour rester dans la course, et d’être dignes des textes qu’on choisit.

Flipboard est un gadget du gadget (application gratuite, mais uniquement sur l’iPad). Sauf que tous les utilisateurs d’iPad s’en servent, et qu’elle engendre à son tour d’autres applications concurrentes, solidifiant alors un territoire, et donc induisant à leur tour propagation du nouvel usage (voir ebouquin.fr à propos de Flud, même principe, pour ma part je teste aussi Pulse).

Donc, à ouverture de l’application (pré-installée sur l’iPad d’ailleurs), on ne vous proposera d’entrer que des noms de personnes utilisant Twitter, pour moi fbon ou tester liminaire ou amaisetti ou dbourrion.

C’est le travail de l’application, ensuite, de présenter dans une interface type magazine, mais hiérarchisée (à ce qu’on peut deviner) selon fréquence ou récurrence des envois, selon contenu du flux transmis, vidéo ou image ou article, les informations fractionnées que vous avez voulu faire suivre.

Paradoxe de lire sous forme de contenu éditorialisé et dans une typologie d’affichage séparée du flux, dans un rapport de lecture dense, non pas seulement les informations absconses qu’on propulse, mais les contenus eux-mêmes, recréation instantanée d’un magazine incluant alors et vos propres articles (si vous les répercutez, puisque vous ne verrez jamais un des ténors de la création et réflexion web, Karl Dubost, sur twitter karlpro indiquer lui-même ses nouveaux billets...), ou ceux de vos amis (ainsi, les magnifiques échappées de Karl, puisque je les retransmets, se retrouveront dans mon propre accès FlipBoard).

Rien de plus, l’application est déjà familière à ceux qui se sont adjoint un iPad, et cela restera lettre morte pour les autres. Moi-même j’y voyais au début un outil à consommer le web, et je reste très pataud pour y écrire (en tout cas, pareil avec l’iPhone, le clavier me sert à écrire sur les sites, les réseaux, ou des e-mails, pas écrire pour moi), mais la radicalité de la lecture web est un tel saut par rapport à l’ordi (et que dans cette lecture je passe facilement du web à une vidéo, ou à un livre en epub), il y a des tas de moments dans la journée où je me sers de la tablette plutôt que du MacBook, et ça renouvelle l’énergie d’écriture, en débarrassant le Mac des fonctions parasites.

Ceci pour trace : prolongement de ce que je disais avant-hier, en annonce de la nouvelle interface à l’approche pour publie.net, faire respirer le passage du site au livre – la hiérarchie des strates de lecture, accès informatif et documentaire via ergonomie poussive des pages sites ou blogs (on devrait boycotter par principe celles qui sont lestées de publicités moches), lieux spécifiques de partage et propulsion (Face Book, qu’on peut aussi inclure dans FlipBoard, ou Netvibes ou GoogleReader etc.), et au bout la lecture dense, qu’on s’efforçait de faire ressembler au livre, se volatilise dans un temps lecture plus complexe, où les fonctions de partage et de multi-strates se réorganisent comme notre bibliothèque savait trier l’ensemble de ses sources écrites, du plancher aux tables et aux étagères, des calepins au bac à journaux.

Autre prolongement dans notre rapport instantané au réel : si on décroche quelques jours (ou quelques heures !) de nos outils de flux, on reprend là où ça en est, la veille rétrospective est quasi impossible. Les images que nous transmettons, vecteur pourtant important de ce lien réflexion/réel, doivent être captées en temps réel, avant noyade dans ces immenses plateformes que sont FlickR ou TwitPic : et soudain les voilà repêchées, remises en contexte, avec un curseur temps déplacé sur durée plus longue... Le geste de documenter le réel, dans l’expérience personnelle et fragmentée qu’on en a, accède donc lui-même à autre étage de sens. Je n’affirme rien, juste questions sur les usages, et ce qui change – trop d’années qu’on voit comme ça surgir à l’improviste un outil modeste (twitter aussi l’a été) et qui prend signification par la masse critique des usages.

Savoir donc, à l’inverse, ce qu’on peut organiser de nos sites, titres, mots-clés, propulsion, images et de nos pratiques réseaux, pour considérer chacun de ces nouveaux champs – sinon comme terrain de combat – au moins comme champ esthétique lié à nos enjeux de lecture les plus forts. Si Arnaud Maïsetti hier lisait Henri Michaux, Michaux dans FlipBoard parlait dans le web...

Pas possible pour nous, dans ce qui se joue là pour la littérature et sa force d’interaction avec le monde, son propre dépôt et appel d’imaginaire, de ne pas aller voir par là, et si possible sans attendre que ce type d’usage devienne prescription de masse, où ne serions plus assez forts pour peser de l’épaule.

La lecture change. Le problème, c’est que la littérature, même dans ses traces les plus pérennes, s’est toujours engendrée de ces fissures-là.

Images : copies d’écran iPad depuis application FlipBoard, au lendemain du Bookcamp 3, voir compte rendus chez Pierre Ménard, Virginie Clayssen, Hubert Guillaud, d’autres vont suivre bien sûr...

responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 26 septembre 2010
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