Après le livre | accorder son traitement de texte

c’est tellement mieux quand on s’en occupe un peu


Un peu de ménage de fond de site, je retrouve ce texte écrit en un seul paragraphe monobloc et mis en ligne le 13 novembre 2010, c’est par lui qu’a commencé l’aventure de Après le livre, suite de billets qui sont devenus quotidiens sur cette période de fin novembre 2010, comme s’il fallait prendre les repères, faire tomber la matière. Proposition faite à Olivier Bétourné en janvier 2011, puis progression plus structurée et reprise vers les 34 chapitres jusqu’en avril 2011...

Tout à la fin, j’écrirai l’introduction du livre. Ci-dessous, parce que question qui me tarabuste en ce moment sur ces rapports web et livre, après la première mise en ligne monobloc, le même texte tel qu’il ouvre l’état définitif du livre (numérique et imprimé), mais je lui ai laissé sa place d’ouverture...

 

accorder son traitement de texte | version initiale


En musique, j’aime tellement le moment où un musicien s’accorde. Pourtant, très peu de personnes règlent leur traitement de texte avant d’écrire. Par défaut, un logiciel de traitement de texte propose un réglage interligne simple, un interligne et demi, double interligne. Ces réglages viennent du temps des machines à écrire mécanique, où une roue dentée était actionnée par le levier manuel de retour à la ligne (poli et chromé, un plaisir). Mais ces règles ont un équivalent économique : dans le monde anglo-saxon, un auteur est rémunéré au nombre de mots, et les compteurs de nos traitements de texte actuels sont réglés par défaut à vous fournir le nombre de mots écrits (il s’affiche là à mesure que j’avance, en bas de mon écran), alors que nous sommes toujours éduqués, en France, à compter plutôt les caractères (espaces compris), ou bien qu’à chaque contrat signé avec un éditeur, un journal, un musée, on nous parle de feuillets, le feuillet étant censé comporter 25 lignes à double-interligne, soit environ 1750 caractères (espaces compris). Qu’on passe sur l’onglet manuscrits des maisons d’édition, on vous spécifiera bien que les manuscrits doivent être envoyés imprimés recto seulement, en double interligne. Ouvrez un livre : le diamètre intérieur des lettres (l’oeil de la lettre) est un paramètre directement associé à la hauteur de ligne. Le livre, pour son confort, impose l’ouverture maximum de la lettre par rapport à la hauteur de ligne. Vous découvrez alors que, sur votre traitement de texte quel qu’il soit, vous pouvez très bien régler exactement la hauteur de ligne (la plupart des logiciels de traitement de texte francisés utilisent le mot exactement – d’autant qu’ils se recopient souvent). Ainsi, passer à un corps 18 pour la police et un interligne de 21 points changera déjà votre perception du texte à l’écran. Mais augmentera sa violence jusqu’à l’illisible. On découvre alors que la plupart des utilisateurs ne règlent pas la couleur de l’encre : du moins, ce qu’on nommerait couleur de l’encre dans l’imprimerie classique. Prenez chez votre quincaillier des échantillons de peinture, appliquez l’échantillon blanc sur une page de livre, et l’échantillon noir sur le texte : depuis bien longtemps qu’on le sait, qu’une page de livre ne doit jamais être blanche, ni l’encre parfaitement noire. Maintenant, réglez votre couleur d’encre à 85% du noir pur (votre fonds de page, lui, est déjà probablement réglé par défaut sur une valeur non absolue du blanc : les marchands de machines savent ce qu’ils font) : le texte écrit en corps 18 et interligne 21 devient lisible, « comme un livre ». Que ce rapport de la hauteur de ligne conjugué à la taille de police soit lié à la densité de contraste et la couleur du texte m’a toujours émerveillé. Mais pourquoi et comment de tels paramètres, qui ne dépendaient pas de l’auteur dans l’ancienne typographie mécanique, puissent être si négligés par les utilisateurs de traitement de texte, quand l’écriture est si intime, si urgente ou nécessaire, si décisive, voilà qui continue de m’échapper.

 

accorder son traitement de texte | version définitive


En musique, ce si beau moment où un musicien s’accorde. Mais pourquoi si peu d’utilisateurs, je le vérifie à chaque stage, à chaque cours, règlent leur traitement de texte avant d’écrire ?

Par défaut, un logiciel de traitement de texte propose un réglage interligne simple, un interligne et demi, double interligne. Ces réglages viennent du temps des machines à écrire mécaniques, où une roue dentée était actionnée par le levier manuel de retour à la ligne (poli et chromé, un plaisir).

Mais ces règles partent d’une logique économique : dans le monde anglo-saxon, un auteur est rémunéré au nombre de mots, et les compteurs de nos traitements de texte actuels sont réglés par défaut à vous fournir le nombre de mots écrits (il s’affiche là à mesure que j’avance, en bas de mon écran), alors que nous sommes toujours éduqués, en France, à compter plutôt les caractères (espaces compris), ou bien qu’à chaque contrat signé avec un éditeur, un journal, un musée, on nous parle de feuillets, le feuillet étant censé comporter 25 lignes à double-interligne, soit environ 1750 caractères (espaces compris).

Qu’on passe sur l’onglet manuscrits du site des maisons d’édition, on vous spécifiera bien que les manuscrits doivent être envoyés imprimés recto seulement, en double interligne. Ouvrez un livre : le diamètre intérieur des lettres (l’œil de la lettre) est un paramètre directement associé à la hauteur de ligne. Le livre, pour son confort, impose l’ouverture maximum de la lettre par rapport à la hauteur de ligne. Vous découvrez alors que, sur votre traitement de texte (dans leur grande variété, – et ne jamais se laisser cantonner à un seul), vous pouvez très bien régler exactement la hauteur de ligne. Ainsi, passer à un corps 18 (c’est la taille « zoom position neutre » pour affichage sur les tablettes) pour la police et un interligne de 21 points changera déjà votre perception du texte à l’écran, beaucoup plus près de la page du livre imprimé que de l’ancienne machine à écrire.

Mais nouveau problème alors : le contraste le rend presque illisible. On découvre alors que la plupart des utilisateurs ne règlent pas la couleur de l’encre : du moins, ce qu’on nommerait couleur de l’encre dans l’imprimerie classique. Prenez chez votre quincaillier des échantillons de peinture, appliquez un échantillon de peinture blanc sur une page de livre, et l’échantillon noir sur le texte : depuis bien longtemps qu’on le sait, qu’une page de livre ne doit jamais être blanche, ni l’encre parfaitement noire.

Maintenant, réglez votre couleur d’encre à 85% du noir pur (votre fond de page, lui, est déjà probablement réglé par défaut sur une valeur non absolue du blanc : les marchands de machines savent ce qu’ils font) : le texte écrit en corps 18 et interligne 21 devient lisible, « comme un livre ». Ce que les imprimeurs règlent en introduisant généralement un bleu cyan dans l’encre, vous en prenez possession sur votre machine. Dangereux ? Oui, si un texte qui surgit avec la souplesse et la facilité de l’imprimé peut plus facilement passer pour fini, et vous dispenser de la rage de reprendre, récrire, corriger. Mais on peut aussi penser qu’il révélera d’autant mieux les fragilités. Et, tout simplement, est-ce que ce n’était simplement pour ne pas savoir faire mieux ou autrement que le tapuscrit remis par l’auteur à son éditeur était si basique ?
Démontez votre traitement de texte. Faites l’expérience suivante : exportez un texte bref (tous les traitements de texte le proposent) au format « html » et regardez combien il faut de pures instructions de « code » pour rendre lisible ce que vous avez rédigé, dès cette étape du passage de votre clavier à votre écran. Mais un livre imprimé, désormais, c’est exactement cela aussi : un fichier texte encapsulé aux normes internationales UTF-8, et une grille d’affichage (dite masque css), des métadonnées de titre, auteur, versions...

La composition d’un texte sur une page se fait en fonction de sa destination : que ce soit votre imprimante de maison, votre iPad, ou le livre que proposera votre éditeur. Par défaut, vous êtes rangés dans la première catégorie : réglage sur format A4, caractère taille 12, exactement comme les anciennes machines à écrire, avec la feuille sur le rouleau. Alors entrez dans l’onglet « document » et entrez comme format la taille d’une page de livre et ses marges (il vous suffit de mesurer), ou bien la taille d’écran de votre liseuse ou tablette – de ce moment, on écrira autrement. Le déclic, ici, c’est qu’est déjà présent dans votre traitement de texte, sa destination supposée, et qu’elle prend pour norme la page photocopiée, le document de bureau : or ceci ne nous concerne plus, depuis longtemps.

On peut décréter que ce n’est pas le travail de l’auteur, d’aller choisir les marmites, poêles ou casseroles appropriées à ses ingrédients. Un chef-cuisinier ou un violoniste vous rétorqueraient plutôt le contraire. On verra plus loin que Rabelais choisit son papier, et Flaubert taille lui-même ses plumes : la vieille histoire de l’oralité, bien plus vaste que celle de l’écrit, est aussi une prise en compte technique (intonation, préparation, rituels) par celui qui s’en fait le porteur.

Que ce rapport de la hauteur de ligne conjugué à la taille de police soit lié à la densité de contraste et à la couleur du texte m’a toujours émerveillé. Mais pourquoi et comment de tels paramètres, qui ne dépendaient pas de l’auteur dans l’ancienne typographie mécanique, peuvent être si négligés par les utilisateurs de traitement de texte, quand l’écriture est si intime, si urgente ou nécessaire, si décisive, voilà qui continue de m’échapper.


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1ère mise en ligne 13 novembre 2010 et dernière modification le 27 mars 2014
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