lieux interdits : le Centre d’essai des propulseurs

comment parler des lieux où l’on n’a pas été [1]


Je n’ai pas approché de l’enclave du Centre d’essai des propulseurs.

Je n’ai pas approché de cette vieille tour mystérieuse qu’on aperçoit de très loin sur l’horizon des champs mais disparaît quand on contourne à pied le vieux mur derrière lequel sont les caméras de surveillance.

Je n’ai pas visité [3] le Centre d’essai des propulseurs, bâti (comme l’Onera à Villebon) sur un de ces vieux forts bâtis après la Commune beaucoup plus pour cerner les Parisiens en cas de révolte de la ville que pour la protéger d »‘une éventuel assaillant extérieur venu de l’ouest.

Je n’ai pas visité les étagements de galeries souterraines creusées dans la pierre calcaire blanche du plateau de Saclay pour abriter munitions, chevaux, ravitaillement de siège et protéger les hommes.

Je n’ai pas vu, dans les galeries souterraines du Centre d’essai des propulseurs, les graffitis dans la pierre laissés par ceux qui y furent détenus en 1945.

Je n’ai pas vu, dans les galeries souterraines du Centre d’essai des propulseurs, les premières galeries aménagées pour que l’essai de moteurs à réaction des nouveaux avions ne provoque pas au-dehors un vacarme étourdissant, avant la construction des bancs d’essai extérieurs.

Je n’ai pas vu, au Centre d’essai des propulseurs, les deux bâtiments sécurisés exclusivement réservé au rapatriement des boîtes noires d’avion, n’importe où qu’ils soient tombés (et les équipes spécialement formées pour ce rapatriement, en quelques conditions qui soient imposées pour ce faire).

Je n’ai pas visité, au Centre d’essai des propulseurs, le laboratoire sécurisé avec agrément international (un des très rares) auprès des compagnies d’assurances, des avionneurs et des principaux États, pour valider l’analyse ici faite de ces boîtes noires.

Je n’ai pas visité l’immense hall construit spécialement, dans les années soixante, pour la reconstitution des accidents d’avion : tous les fragments dispersés et retrouvés sont mis en place dans leur géographie même, et les corps on les indique par du scotch au sol ou des mannequins, et les spécialistes arpentent en analysant, mesurant, rapprochant et cela peut durer des semaines et des mois compte tenu de l’importance financière et technique de l’accident disséqué.

Je n’ai pas vu, dans le hangar aménagé du Centre d’essai des propulseurs, les fragments reconstitués de cet Airbus qui s’était écrasé dans les Vosges. Je n’ai pas vu, dans le hangar aménagé du Centre d’essai et propulsion, le cadavre du Concorde aux 160 morts qui s’était écrasé après décollage pour un bout de ferraille ramassé sur la piste.

Je n’ai pas assisté, au Centre d’essai des propulseurs, aux essais de moteur et turbines haute puissance, et dans le vacarme, les milliers de litres d’eau qu’il faut employer pour le refroidissement – tout un réseau de canaux et fossés aménagés ici à même la terre, et on puise dans l’étang l’eau nécessaire.

Je n’ai pas assisté, au Centre d’essai des propulseurs, au lâcher d’une espèce particulièrement robuste de carpes russes, interdites sauf dérogation, parce qu’elles étaient seules capables de manger les algues vertes qui proliférent dans le grand étang interdit à cause de cet usage intensif d’une réserve d’eau naturelle pour refroidissement en circuit fermé (les oeufs des poissons, pondus dans la vase des bords, s’accrochent aux ventres des canards qu’on y aperçoit, longtemps qu’elles ont dû être disséminées, les carpes tueuses.

Je n’ai pas visité le Centre d’essai des propulseurs, derrière le grand étang, près du Christ de Saclay. J’aimerais. J’aimerais beaucoup. Pour l’histoire de cette enclave, à laquelle on a concédé l’ancien fort et ses galeries souterraines. Je m’engage à respecter la confidentialité des recherches techniques en matière d’armement qui y sont menées dans le périmètre sécurisé.

J’aimerais visiter ce hangar même si pour l’instant n’y est pas exposé le catafalque d’un avion mort, civil ou militaire, et la réserve latérale où on garde en cas de besoin cent ou cent cinquante mannequins de son sous toile de jute pour figurer les corps. Je n’ai pas vu les carpes russes.

 

[1Evidemment clin d’oeil à Pierre Bayard.

[2Evidemment clin d’oeil à Pierre Bayard.

[3Merci à V. l’informatrice, et conteuse de fables.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 24 mai 2012
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