quand Daeninckx fait le ménage

"Nazis dans le métro" et "La route du Rom" pour la 1ère fois en version numérique sur publie.net


Ce sont deux classiques, deux livres-culte. Sur publie.net, la mise en ligne simultanée de Nazis dans le métro et de La route du Rom.

D’abord à cause de la légendaire série fondée par Jean-Bernard Pouy : un drôle de fouineur détective enquêteur, Gabriel Lecouvreur, dit le Poulpe (parce qu’il faut lui donner des coups pour l’attendrir, dit Pouy), ancré dans le Paris populaire, un bistrot de Belleville, le salon de coiffure de sa copine, et un titre... évidemment, les titres... et parce que Pouy en confie tour à tour l’écriture à ses copains de la Série noire. Alors commence une épopée policière à voix multiple, où la contrainte s’exerce identiquement pour tous. Je crois même bien qu’il m’en avait proposé un, mais je m’y serais senti balourd.

Et puis c’est Daeninckx. Les deux thèmes abordés ici, le révisionnisme et l’extrême-droite pour Nazis dans le métro, la déportation des tziganes et le sort qu’on réserve aux romanichels dans la France contemporaine de l’autre, à ceux qui croiraient qu’on est guéris des vieux démons, suivre l’actualité récente – expulsion des camps de Roms tout l’été, université d’été de Mme Marine Le Pen ces jours-ci, et ses résultats de vote.

C’est la rançon, pour nous autres de la littérature. On s’imaginerait facilement qu’après deux livres comme ceux de Daeninckx le problème serait réglé... Et le vieux monde continue.

Cela suffirait. Mais il y a la grâce, le miracle. On dirait que Daeninckx, parce qu’il y a la contrainte du Poulpe, s’amuse avec toutes les formes du polar, se joue des dialogues. En profite pour se laisser aller à ses propres récurrences, les longs voyages seul sur autoroute, l’arrière-fond des bistrots parisiens, la vieille fascination de l’ancien ouvrier imprimeur (même s’il ne l’a pas été longtemps, c’est son propre ancrage, avec l’anarchisme familial) pour ce qui tient des archives, du livre, la boutique à vous trouver les introuvables, la bibliothécaire de l’hôpital...

Alors il envoie. Du lourd, comme on dit. J’ai une petite tendresse supplémentaire pour Nazis dans le métro, qui s’ouvre par tout un bout d’enquête dans le vieux marais poitevin, entre Vix et Damvix, et ses notables pendables, leurs partouzes et magouilles. Je me souviens d’avoir alors mis en contact Didier et le pote généraliste à Damvix, Paul Van Vliet – résultat, dans la fiction le village s’appelle Bonvix, et donc c’était un peu normal qu’il revienne à publie.net...

On sait que l’aventure du Poulpe s’est mal terminée, avec la reprise en main des éditions Baleine par des gens qui ressemblaient un peu trop à la France que dénonçaient leurs auteurs. Didier Daeninckx leur a retiré la diffusion de ces deux livres, qu’on trouvait depuis lors en Folio Policier pour le papier.

Ils sont trop légendaires pour qu’on se prive du plaisir – mais aussi de la réflexion, et de tout ce que met à jour, côté nazis, côté Roms, l’enquête toutes archives ouvertes de Daeninckx – d’en disposer sur nos petites machines numériques.

La couverture, les surprises graphiques intérieures et la mise en page sont dues à Roxane Lecomte pour Digital Hat, merci one more time évidemment pour cet apport qui change tout.

Pour La route du Rom, peut-être moins connu que Nazis dans le métro qui a été une vraie semonce, je reprends cet échange entre Didier Daeninckx et Bernard Strainchamps, qui nous fait entrer dans l’écriture même... Après Mauvais Genres et BiblioSurf, Bernard Strainchamps continue son activité de libraire et propulseur en ligne sur FeedBooks.fr, vous y retrouverez les deux Daeninckx et ça peut être l’occasion de découvrir un impressionnant travail d’accompagnement, librairie pensée pour le web, voir ici et suivre.

BS _ « Il n’y a jamais eu de camps de Rom à Valognes » me déclarait une amie. Aussi, j’ai relu /La route du Rom. Qu’est-ce qui est vrai dans votre roman ? Si le Merdelet est bien le ruisseau qui traverse Valognes, Corneville, la ville dans laquelle vous avez placé l’intrigue n’existe pas. Comment travaillez-vous ?

DD _ Il y a bien eu un camp de concentration de population au coeur de Valognes : il se trouvait dans les locaux de L’institution Sainte-Marie réquisitionnés par l’armée allemande dès 1940. Un document, l’Atlas de la Shoah, mentionne la présence de familles gitanes dans ce camp et parle même de "stérilisation" de femmes, dernier point que je n’ai pu vérifier.

Le camp a servi à emprisonner des personnes pour des motifs divers : gitans, communistes, descendants de mariages mixtes (Allemands-Juifs) provenant de Prusse orientale, soldats indignes de la Wermacht...

La vie quotidienne de ce camp est décrite par un de ces "soldats indignes" (parce que d’ascendance juive), nommé G.K. Roessler. Il est disponible en un seul exemplaire à la bibliothèque de Valognes et n’est consultable que "sur place". La référence en est 9440816ROE, sous le titre "Tu oublieras ta misère". Je me suis appuyé sur ces documents pour construire la géographie imaginaire de "Corneville" et décrire le fonctionnement du camp de centre-ville dont il est de bon ton, à Valognes, de nier jusqu’à l’existence.

A contrario, de nombreuses personnes, à Valognes et aux alentours, considèrent qu’il faudrait débaptiser le lycée de la ville qui porte le nom de Cornat, l’ancien maire qui inaugura une place Pétain, et qui fut sollicité administrativement au temps où fonctionnait le camp de Valognes. Avant sa disparition, Lucie Aubrac s’était associée à ce combat.

© Didier Daeninckx - Bernard Strainchamps


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 25 septembre 2012
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