Orsay | l’optique à remonter le temps

et appel à fiction : expliquer les appareils sur les photos ci-jointes, et en inventer d’autres qui – dans l’époque concernée – vous auraient tellement servi


Il y a deux ans, l’Institut d’Optique a déménagé vers un fier bâtiment neuf, tout près de Polytechnique et de Palaiseau, à deux kilomètres d’ici. Moi j’y entre avec émotion, en 1965 ou 1966, quelle fierté de rentrer – sinon dans ces couloirs-ci, dans ceux de l’Institut d’Électronique Fondamentale et comment rien que le nom faisait rêver, l’année du Sergeant Pepper’s Lonely Heart Club Band –, et qu’on nous montre (un vague rayon vert, dont je n’avais pas compris l’intérêt, ni mon père : – À quoi ça peut leur servir, leur laser, avec l’argent de l’État ?). Non seulement le laser a pas mal servi, en un demi-siècle, mais avec pas mal d’applications imprévues.

Nous découvrons que le vieux bâtiment s’appelle toujours Institut d’Optique, et que cette suite de salles et bureaux carrelés accusent bien leur âge, mais ont été paradoxalement confiés aux plus jeunes, à ceux qui terminent leurs études et inventent déjà, via le FabLab, leurs propres produits de Géo Trouvetou (ce n’est pas juste, mais on parlera d’eux plus précisément dans un prochain billet). On en parlera plus précisément dans un prochain billet, mais le premier paradoxe c’est ce contraste du bâtiment vénérable et de ces silhouettes toutes jeunes mais qui s’organisent en micro-sociétés en devenir, sauf qu’il ne s’agit pas du cliché habituel répandu sur les start-ups, mais de manips développées via la pointe de l’optique.

Ainsi, ma surprise à ces salles qui sont leur laboratoire collectif, et dans lesquelles, avec l’habitude prise des labos tous ces mois, je m’attends à un impressionnant déploiement de technologie, et puis presque rien. Les tables techniques, quelques câbles, des fers à souder. Comme je m’en étonne, Camille Rességuier, chargée de la coordination du FabLab (mais on découvrira peu à peu que son rôle va bien plus loin) ouvre des armoires sur des chromatomètres, des tiroirs sur des lentilles polarisatrices. Tout cela vaut très cher, mais est si miniaturisé qu’on ne le voit pas. Un laser, aujourd’hui, c’est gros comme le petit doigt. On tombe sur un oscilloscope, et je parle de la révolution qu’avaient été pour ceux de ma génération ces petits oscilloscopes parallélipipédiques, qu’on emportait dans l’avion quand on partait en dépannage, au lieu de nos gros bousins à écrans circulaires. Camille Rességuier, sans rien savoir de tout ça, a dû avoir l’intuition de ce qui se passait dans ma tête, pour nous dire alors : « On a de vieux oscilloscopes, au niveau moins deux, dans la réserve. » Et de nous en proposer la visite. Escaliers, pass, encore couloirs et escalier, autre porte avec pass.

Les souterrains se multiplient sous l’ensemble des bâtiments, un labyrinthe d’allées à la perpendiculaire, mais cette travée principale qui en fait tout le long : quatre-vingt mètres ? Le mur à droite reste libre, et contre le mur à gauche s’empilent quarante ou cinquante ans d’histoire de l’optique.

Las, nous ne trouverons pas de ces oscilloscopes à gros écrans vers circulaires : même si on plonge dans le passé, le mien est trop vieux. D’ailleurs, Florian Delcourt, qui depuis le début de ces visites m’accompagne en frère, et récent titulaire d’un master 2 Arts et Sciences, ne sait même pas à quoi sert ce pantographe sur table à dessin, alors qu’il me tombe de suite sous la main comme quitté d’hier.

Nous longeons des polariseurs, des spectrographes, un ophtalmomètre, d’étranges instruments d’analyses et un anté-diluvien téléphone avec fax intégré (à rouleau de papier thermique).

Nulle volonté d’exhibition ou caricature – il suffirait de lever n’importe où les bâtiments et maisons de n’importe quelle ville, et chaque cave sous souterrain révélerait une nouvelle histoire, sauf qu’ici c’est un peu aussi la nôtre. Chacun de ces objets est lourd du temps qui l’a accompagné. Chaque manip de ce qu’on a tourné, fraisé, taraudé et poli pour la rendre opérationnelle. Nous avons vu aussi l’atelier de mécanique, ou ce qu’il en reste une fois transféré dans le nouveau bâtiment à deux kilomètres. À cet atelier me relient aussi un visage et une voix, respect.

Quand on déménage une salle ou qu’une expérience est relayée par une autre, le ridicule serait de ferrailler. On descend le matériel obsolète dans le grand souterrain du niveau 2.
À preuve qu’un des jeunes du FabLab nous dira tout à l’heure : « Quand il y a un centimètre de poussière dessus, on a le droit de le prendre. » Et si la question d’une valeur artistique de l’objet scientifique obsolète se pose ailleurs, voire pour les bâtiments eux-mêmes, ce ne saurait être le cas ici.

D’où l’appel à fiction, qui n’est pas de la triche, qui n’est pas une proposition d’exercice, ni un usage ludique de ce qu’on nous a montré.
Imaginez le souterrain, prolongez-le tant que vous voudrez, prolongez-le bien au-delà des quarante ans d’histoire qu’il nous a montrés.

Les appareils et objets photographiés : pour quel usage, pour quel rite et quel mystère, pour quel rêve – et la fiction peut reconstituer la salle, la manipulation, les visages, l’attente. Ou bien même, mais en partant de ce premier ancrage : et si on inventait de tels objets pour la mémoire souterraine du futur – il serait comment et pour à quoi servir, l’instrument d’optique que vous nous décrivez ci-dessous ?

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 12 novembre 2012
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