016 | 47°25’32.74 N – 0°39’41.85 E

si on est chômeur, on peut bien aller chômer à l’écart de la ville (c’est plus propre)


 

 ceci est le 16ème rond-point visité, voir liste des précédents ;

 première visite ? voir la présentation générale du projet, qui inclut aussi des invitations et un journal ;

 état actuel du protocole : vues depuis le rond-point devenu chambre à photographier la ville (16 photos) ; vues du rond-point depuis son pourtour (3 photos) ; vue de l’intérieur du rond-point (2 photos) ; vue aérienne © mappy.com avec le rond-point dans son contexte (1 copie écran) ; vidéo lecture (2’19), vidéo captation neutre (1’49) ; un livre enterré (voir protocole livres enterrés) ;

 performances YouTube la littérature se crie dans les ronds-points ;

 en partenariat Pôle des arts urbains Saint-Pierre des Corps (pOlau) & Ciclic

 

journal de voyage


Les petits ronds-points ne sont pas ceux qui en disent le moins.

Peut-être qu’on va commencer à toucher vraiment le projet : moins un rond-point contient d’avance de signes ou d’intérêt apparent, mieux il va se révéler la chambre d’enregistrement de ce qui l’entoure, l’évolution à la fois complexe et invisible de la ville.

On est dans l’étalement urbain, au sens le plus strict : autour, les champs agricoles. Des rues dont on ne souviendra pas du nom, en tout cas pas besoin de savoir leur nom pour venir à Buroter ou Auchan Drive.

Il y aurait quoi, à voir, sur ce rond-point minuscule juste sous la ligne haute tension ?

Je n’en sais rien avant de me garer comme j’ai pris l’habitude de le faire, à quelques centaines de mètres pour l’aborder en piéton.

Mais déjà, cette rue qui y mène, qui se raccorde à la nationale (pas loin du rond-point De Gaulle), et qui commence par le grand bâtiment cubique de la gendarmerie, derrière une station de lavage automatique des voitures, pour les sorties du dimanche (je ne crois pas avoir jamais lavé ma voiture dans une de ces installations). Sous la gendarmerie, un sous-sol aux ouvertures étroites, on s’imagine des cellules, des salles d’interrogatoire, sans doute c’est plus banal.

Mais, ici où ne se risque un bus qu’une fois par heure et encore, à la frontière ultime de la ville, loin de tout point d’accès piétonnier, pourquoi avoir concentré ce qu’on n’aime pas voir : Pôle Emploi, Cap emploi, et Centre éducatif de jour ? Pour ne pas les voir en ville, tous ceux-là ? D’autant plus qu’un genre de distributeur de billets (non, il n’en distribue pas, et pour cause) a été installé à la porte du Pôle Emploi pour les formalités obligatoires des chômeurs. Beaucoup de voyage pour glisser une carte dans un automate. Ou ce panneau intitulé « Rassemblement » mais qui n’est visible que lorsqu’on est devant lui, puisque derrière c’est juste le métal muet.

Surpris, dans cette suite d’ateliers (nommés comme ça), de retrouver des commerces voyageurs : les accessoires pour chevaux et cavalières étaient autrefois sur la Tranchée, puis ont glissé vers la rocade quartier Fontaine avant de s’implanter ici (mais ils vendent aussi dans les centres équestres, lors des compétitions), et à côté Tours Percu était dans le centre-ville, où on comptait il y a 10 ans encore 5 ou 6 marchands d’instruments de musique et maintenant juste 2 qui survivent. Et quelle attraction pour la clientèle du troisième, avec le mot agression à gauche et sécurité à droite.

Ce qui s’appelle maintenant Rotowash était l’antenne professionnelle de la Poste. J’y ai eu plusieurs années une boîte postale (BP 145, Saint-Cyr sur Loire) mais depuis le Québec, il y a bientôt 5 ans, pas la peine de payer vu ce qui nous parvient par courrier. La Poste avait fermé le petit bâtiment de tri, déménagé à Fondettes, mais ça devait être une mauvaise décision puisqu’ils se sont réinstallés en face : tout cela les occupe bien, les postiers (enfin, pas les facteurs sur leurs Mobylette jaunes, mais ceux qui sont au chaud dans les bureaux).

De l’autre côté du rond-point, le bâtiment est partagé entre un avocat, un cabinet de compta et une boîte d’intérim. Les avocats autrefois restaient près du Palais de justice, mais le commerce de ces gens-là est toujours en expansion. Moi aussi, mon génial cabinet de compta (vrai, toujours un plaisir que d’aller les voir, pourtant les affaires ne sont pas glorieuses) a aussi déménagé en bord de ville, mais de l’autre côté, près du rond-point de l’Heure Tranquille.

Quand Buroter a ouvert j’étais content : on avait toujours besoin d’un tas de trucs, agrafeuse, classeurs, dossiers cartonnés, ramettes de papier, feutres et post-it, sous-main ou lampes de bureau, et même au tout début l’agenda papier annuel (je ne me souviens plus la marque : quand est-ce que j’ai eu mon dernier agenda papier : vers 2003 ?), c’était comme une extension naturelle du plaisir à la vieille papèterie.

Mais de quoi j’aurais besoin maintenant ? C’est chez eux que j’ai acheté mon imprimante Brother, une fois chaque trimestre je vais acheter une cartouche de toner laser, et jamais plus grand-monde dans les allées, je fais un petit tour pour bonne conscience, mais l’ordi suffit à tout, plus une ramette de papier de temps en temps à Auchan. Est-ce qu’ils le savent, à Buroter, que le destructeur qu’ils proposent en promo c’était le seul accessoire d’Henri Michaux, qui n’avait pas de machine à écrire mais un broyeur à même sa table ?

Pour Auchan, on voit l’inscription en double sur les champs, endroit et envers. Il y a encore de la place pour d’autres entreprises, mais les entreprises sont dans la même situation que les visiteurs de Pôle Emploi, elles ne viennent pas.

Il y a aussi le Auchan Drive, jamais essayé ça : on commande par Internet, et on passe récupérer en voiture. Certains dans les grandes villes essayent aussi ça pour les livres. Alors toutes les chaînes d’hypermarché s’y sont mis, il y a des Leclerc Drive, des Carrefour Drive (pour l’appellation ils n’ont pas cherché à inventer beaucoup) dans toutes les sorties de ville, mais pas l’impression que ça marche très bien.

L’étalement urbain, ici, évacue toute idée d’habitation pour ces îlots proprets du travail sous sigle parfois énigmatique. On vient en voiture, on repart pareil, on construit autant de parkings que de surfaces peuplées par les cubes qui les enferment.

Et pourtant, cette chômeuse accroupie devant la porte de Cap Emploi, quand bien même elle serait la seule piétonne déléguée par toute la ville, elle le prouve : le rond-point le plus minuscule enregistre toutes les contradictions de la ville.

 

éléments contingents et factuels


Le texte que je lis est très bref (2’19) mais c’est une histoire, et je voudrais que cette dimension narrative soit présente. Et puis, un petit rond-point c’est comme un salon. Ici ils ont mis cette plante un peu sèche, sur un sol de cailloux, pas prévu qu’on y marche. Mais j’aime tellement ce livre d’Albert Manguel, Journal d’un lecteur, et le Don Quichotte qui le hante. Et désolé s’il ne se passe pas grand-chose dans l’autre vidéo : qu’il ne se passe rien ici prouve bien ce pourquoi la ville a décidé d’y expédier les chômeurs. C’est à eux que j’aurais voulu donner le petit livre de poésie que j’avais apporté, mais comment le leur remettre ? Je m’en suis tenu à ma consigne : non pas enterré (le sol de cailloux ne le permet pas), mais enfoui dans l’épaisseur d’une de ces touffes de roseau où personne n’ira jamais le chercher tant qu’on ne les arrachera pas. Ce genre d’étalement urbain, hors de tout autre contexte social de la ville, et pour mieux l’asservir à l’hypermarché maître, est-il le destin du travail, et qui nous fonde comme communauté ? Le rond-point en doute.

 

ce que le rond-point voit de la ville


 

le rond-point vu depuis ce qui l’entoure


 

intérieur du rond-point, Google Earth et vidéo


 


recevoir le livre lu

 

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 18 décembre 2014
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