025 | 47°23’12.32 N – 0°44’41.72 E

si les ponts qui s’en vont vers nulle part sont aussi l’imaginaire des ronds-points (en forme de conte)


 

 ceci est le 25ème rond-point visité, voir liste des précédents ;

 première visite ? voir la présentation générale du projet, qui inclut aussi des invitations et un journal ;

 état actuel du protocole : vues depuis le rond-point devenu chambre à photographier la ville (14 photos) ; vues du rond-point depuis son pourtour (3 photos) ; vue de l’intérieur du rond-point (2 photos) ; vue aérienne © mappy.com avec le rond-point dans son contexte (1 copie écran) ; vidéo lecture (2’35), vidéo itinéraire (5’40) ; un livre enterré (voir protocole livres enterrés) ;

 performances YouTube la littérature se crie dans les ronds-points ;

 en partenariat Pôle des arts urbains Saint-Pierre des Corps (pOlau) & Ciclic.

 

journal de voyage


Plusieurs jours que j’attendais un rayon de soleil au lieu de la combinaison gris froid vent pluie : la ville sans lumière est terne, il m’arrivait de passer devant des ronds-points déjà visités sans les reconnaître. C’était un obstacle intérieur aussi : vu ces jours-ci des ronds-points beaux, lourds, fantastiques mais voilà, ils étaient loin de Tours.

Renvoyé donc à cette contrainte de départ : c’est ici le portrait d’une ville de province moyenne, avec des marques d’usure plutôt que de développement, et peu des signes de l’extrême, dont nous avons besoin pour l’art urbain.

Jusqu’ici, jamais je ne me suis posé sur un des 24 ronds-points visités sans qu’il me dévoile quelque chose que je ne savais pas auparavant. Mais je ne veux pas que cela devienne ici un exercice d’urbanisme pratique. j’ai en tête toujours 5 ou 6 ronds-points d’avance, et puis finalement c’est vers un autre que je roule.

Ce midi, embarquant mon pied, mon appareil-photo et son micro, c’est cela que j’avais en tête : et si j’allais vers un rond-point qui n’ait rien à me dire ? Celui-ci, je l’avais en tête parce que chaque fois que j’y étais passé c’était par erreur.

Il est bien reconnaissable, d’une part pour ce très long pont sur les voies ferrées qui tombe littéralement sur lui, d’autre part pour ces géants cylindriques placides qui le bordent, où je vois moins des citernes ou autre fonction utilitaire qu’autant de potentiels accumulateurs – de quoi, de la mémoire de la ville et du temps ? On pourrait tout garder dans ces bonbonnes. Beckett a écrit son Dépeupleur pour un cylindre de ce type, et j’en ai photographié partout, depuis la fenêtre des trains, des bus ou des voitures, de Madison Wisconsin à Londres ou Fos-sur-Mer.

C’était donc cela, l’idée : un rond-point qu’on n’atteindrait que parce qu’on s’est trompé de route. Qu’on n’avait aucune raison de venir là, qu’on n’a aucune raison de s’y arrêter, et – en plus – que si on décidait volontairement d’y aller peut-être même qu’on ne saurait le retrouver.

La ville n’est ville que parce qu’elle autorise de s’y perdre, il y a de belles pages de Walter Benjamin sur cette question, essentielle depuis Le paysan de Paris (ou Nadja, qui en est 4 ans plus tard une version embourgeoisée).

Et puis le pont. Eux aussi, les ponts dans l’intérieur des villes, je les photographie systématiquement. On dirait qu’ils s’en vont sur rien. On dirait qu’il leur faudrait juste un peu de brume pour que les franchir soit changer de monde.

Est-ce que regarder de près ce rond-point serait trouver, en notre monde et notre ville même, ces points d’assemblage où arrêter le monde, et passer à travers cela qui nous gêne : la ville moyenne et trop semblable à elle-même, qui ne sait plus ni nous perdre ni nous autoriser le rêve ?

 

éléments contingents et factuels


Des livres mis dans la poche avant de partir en expédition, je ne savais rien au départ. Mais désormais, c’est comme explorer – dans ma propre bibliothèque – les livres qui disent du neuf de la ville, de la route, d’habiter.... Une nouvelle bibliothèque naît par l’exercice même. Des livres de Jacques Serena, un de mes plus anciens compagnons de route, je pourrais prendre n’importe lequel, il y aura toujours ces moments de dérive où la ville devient elle-même comme la musique profonde de l’écriture. Avec son livre-culte, Lendemain de fête (Minuit, 1993) c’est encore plus flagrant : dérive sur autoroute en vieille Mercedes 300D, du Bashung dans le lecteur de cassettes... Hommage fraternel donc. La difficulté pourtant que c’est de lire en plein vent, sur le bruit des camions, la voix doit se tendre et se raidir. Mais ça fait aussi partie de l’exercice, et c’est quand même ça la première raison de s’y être lancé : où sinon lire cette poésie qui nous concerne, quand toute la ville et le monde y tournent le dos ? Pour le livre abandonné, j’avais pris un roman, un livre pas neutre, un livre qui parle aussi de la ville. J’ai des kilos de livres dont je me pourrais me débarrasser chez moi, mais – je l’ai dit plusieurs fois – pour cette bibliothèque fantôme, enterrée sous la carte de la ville, il me faut des livres qui signifient pour moi, qui soient vraiment une séparation ou un manque. J’aurais pu laisser celui-ci dans la végétation, ou dans cette maison abandonnée de la SNCF, mais en passant sur le pont je surplombais, après le cimetière des vieilles locomotives, un long train de marchandises : j’ai jeté le livre dans la trémie (voir photo, on l’aperçoit tout au fond). Il partira cette nuit, je ne sais vers quelle destination, il partira avec, et sera vidé encore ailleurs. C’est une image que nous portons tous. Est-ce que ce n’est pas aussi quelque chose dont nous rêvons pour le destin même de nos livres, une fois qu’ils nous ont quittés ?

 

ce que le rond-point voit de la ville


 

le rond-point vu depuis ce qui l’entoure


 

intérieur du rond-point, vue aérienne et vidéo


 

 


recevoir le livre lu

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1ère mise en ligne et dernière modification le 27 février 2015
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